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et suffirait, je le répète, à justifier la valeur d’une entreprise. Maintenant, on peut croire sans impiété que l’éclectisme n’a pas écrit cette grande charte un peu trop pompeusement annoncée. Grace à M. Cousin et à ses disciples, l’inventaire des philosophies du passé est fait : il n’y manque plus qu’un fiat lux ! En attendant l’accomplissement de cette œuvre, nous croyons qu’une tâche plus modeste, mais non moins utile, s’offre à la conviction ; c’est la lutte contre l’esprit d’erreur au nom de la tradition spiritualiste. Durant les tristes jours de la décadence de l’empire romain, les stoïciens n’opposèrent pas l’érudition, mais la morale, au débordement du matérialisme, et l’humanité, malgré les excès de cette secte héroïque, mesurant sa reconnaissance aux intentions et aux services, ne s’est pas demandé si la secte stoïcienne n’était pas, après tout, inférieure par sa métaphysique et par le savoir à ces profonds philosophes d’Alexandrie, lesquels, assis sur des débris, éclectisaient avec des ruines.

M. Cousin ne saurait du moins être accusé d’avoir failli à la défense des vérités sociales. N’est-ce rien, même au point de vue moral, que cette réhabilitation de la croyance universelle en matière philosophique, sous le nom de sens commun, méthode qui fut, avec l’éclectisme, un des premiers fruits de sa pensée ? Quand l’auteur des leçons de 1815 à 1820, avec plus de fermeté et de profondeur que Thomas Reid, assignait à la philosophie pour point de départ et pour règle les grandes vérités religieuses et morales que le sens commun proclame ou reconnaît ; quand il montrait dans la foi naïve partout identique du genre humain, comme une église véritable enfermant dans son credo les dogmes essentiels dont la philosophie ne doit être que l’interprète plus profond, que faisait-il, je le demande, sinon proclamer, autant qu’il était en lui, que la philosophie était décidée à entrer en réciprocité de services avec les croyances de l’humanité, qu’elle ne voulait pas faire schisme avec elles pour s’isoler dans l’impuissance de son orgueil, qu’elle abdiquait franchement, en un mot, et l’indépendance frondeuse du scepticisme, et le dérèglement de l’esprit de secte, cette hérésie philosophique qui s’attache à des moitiés ou à des quarts de vérités insolemment données pour la vérité tout entière ? Croit-on par hasard que cette vue soit épuisée devant les égaremens ou devant l’indifférence du temps présent ? Pour nous, nous la trouvons d’une vérité plus frappante encore qu’il y a trente ans, quand M. Cousin la présentait entourée de toutes les lumières de sa raison et de toutes les forces de son talent oratoire. Il faut, disait-on alors et répète-t-on sans cesse de nos jours, il faut une autorité, une règle, une tradition, et la philosophie n’en a pas. Nous souscrivons à cette exigence en niant la conclusion qu’on prétend en tirer. Cette autorité, c’est la croyance du genre humain. Si la philosophie aspire encore à la puissance, elle n’a