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elle voulait dire que les membres composant l’assemblée des états-généraux délibéreraient en commun, et que les votes seraient comptés par tête et point par ordre. Aucune hésitation n’était possible sur ce point, et la royauté, en se montrant irrésolue au début de la crise, laissait croire, ou qu’elle regrettait la concession spontanément faite par elle, ou qu’elle n’en avait pas par avance mesuré la portée. Une telle concession, sans doute, avait une immense gravité, car elle rendait impossible aux deux ordres privilégiés de disputer la prépondérance aux députés du tiers-état ; mais, après s’être enivré des applaudissemens qui l’accueillirent, ne pas se sentir assez de résolution pour trancher le nœud du mode de vérification des pouvoirs, de la délibération en commun et du vote par tête, livrer à tous les périls d’une lutte de corps la plus grave des difficultés du temps, c’était donner la mesure de sa faiblesse, et convier des mains plus hardies à s’emparer des rênes qu’on abandonnait soi-même. Le mode de vérification des pouvoirs était la plus dangereuse pierre d’achoppement que les états-généraux pussent rencontrer à l’entrée de la carrière, et l’irrésistible autorité exercée par le roi sur sa fidèle noblesse devait être résolûment employée pour obtenir de celle-ci un sacrifice que son honneur lui commandait impérieusement de n’accorder qu’à la volonté du prince lui-même. L’aristocratie française pouvait bien renoncer de son plein gré à des privilèges pécuniaires et à des avantages personnels ; mais était-il raisonnable d’espérer que, sans y être conviée parle roi, elle abandonnerait jusqu’au principe de sa propre existence comme ordre ? Pouvait-on croire qu’en se soumettant, contrairement aux précédens historiques, à la vérification commune et au vote par tête, elle consentirait à brûler en quelque sorte de sa propre main, à la porte des états-généraux, ses lettres de noblesse ? Le monarque seul pouvait demander une telle chose à des gentilshommes au nom des plus chers intérêts de la patrie. Garder une attitude de neutralité, c’était pousser manifestement la noblesse à une résistance commandée par le soin de son honneur et par celui des intérêts. Le vote par tête l’annulait complètement dans l’assemblée des états, car le tiers, assuré de n’être jamais en minorité, puisque sa représentation était égale à celle des deux autres ordres réunis, pouvait compter sur une majorité considérable dans toutes les discussions importantes, d’après l’esprit bien connu du clergé inférieur. Celui-ci adhérait, en effet, au tiers-état avec une ardeur dont il donna bientôt des preuves, puisque son attitude détermina la réunion. Enfin, la noblesse elle-même comptait parmi les plus illustres de ses membres un parti chaleureusement voué à la cause de la révolution, et qui ne s’en sépara point, même au plus fort de la tempête. La vérification des pouvoirs en commun, impliquant le vote par tête et la fusion des trois ordres, équivalait