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à un double but : améliorer la condition matérielle du peuple en assurant sa subsistance, élever la condition morale de la bourgeoisie en lui attribuant une large part au pouvoir politique. Cependant, si M. Necker pénétra avec une sagacité dont témoignent ses écrits toute la portée d’une œuvre à laquelle l’associaient son origine plébéienne sa fortune laborieusement créée et ses idées empruntées à Delolme et à Montesquieu, il faut reconnaître qu’il ne manqua pas moins de résolution pour la préparer que d’énergie pour la conduire. Prévoyant la tempête sans détourner la foudre, il livra à toutes les chances du hasard les événemens que sa popularité comme sa position lui commandaient de faire effort pour diriger, et ses dispositions incertaines et mal concertées ajoutèrent des périls nouveaux et plus redoutables à ceux qui naissaient déjà de la force des choses. Plus occupé de l’effet de ses mesures sur l’opinion que de la sérieuse pratique du gouvernement, M. Necker tenait sa tâche pour accomplie, quand il avait provoqué des résolutions éclatantes et des concessions populaires, s’inquiétant peu d’en suivre l’application et d’en pressentir les conséquences. S’il arracha aux hésitations de la couronne la convocation des états-généraux, s’il fit prévaloir le doublement de la représentation en faveur du tiers-état, il ne prit aucune disposition pour diriger l’action des puissantes forces évoquées par lui vers un but connu et déterminé d’avance.

La convocation immédiate des états-généraux avait été rendue nécessaire, à la fin de 1788, par l’état insurrectionnel des principales provinces de la monarchie. Le doublement du tiers était une mesure vivement réclamée par l’opinion, votée d’ailleurs par la seconde assemblée des notables, et qui paraissait en soi fort rationnelle, rien n’étant assurément plus juste que d’accorder à l’ordre qui représentait à lui seul vingt-cinq millions d’hommes une représentation numériquement égale à celle des deux autres ordres réunis ; mais en conseillant de telles mesures à la couronne, il fallait en prévoir au moins les conséquences les plus prochaines. Or, n’était-il pas évident qu’une fois la bourgeoisie en possession d’un nombre de députés égal à celui des représentans de la noblesse et du clergé, elle exigerait tout d’abord la vérification des pouvoirs en commun, et qu’elle résisterait énergiquement à la mise en pratique de l’ancien système, qui consistait à faire voter les trois ordres séparément, en reconnaissant à chacun d’eux un droit de veto sur les délibérations des deux autres ? Consentir à la délibération séparée, c’était, en effet, rendre complètement illusoire pour le tiers-état le bénéfice de l’augmentation du nombre de ses députes, puisque, si les ordres avaient délibéré séparément, il n’y aurait eu nul avantage pour lui à siéger au nombre de 500 au lieu du nombre de 250. Si donc la concession faite par la royauté avait une signification sérieuse,