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l’ardeur de sa foi religieuse que par son esprit d’indépendance en matière politique.

Que les classes moyennes entretinssent contre les classes aristocratiques des antipathies profondes, il n’y avait donc point à s’en étonner ni à s’en plaindre ; qu’elles ouvrissent leur cœur à une doctrine religieuse sévère et en rapport avec leurs secrets instincts, il n’y avait en à cela rien que de naturel. Malheureusement un plus détestable breuvage avait touché les lèvres de la bourgeoisie et pénétré jusqu’à son cœur. Elle avait bu à longs traits la coupe que Voltaire versait alors à l’Europe, et le rationalisme déclamatoire de Jean-Jacques Rousseau avait à la fois échauffé son cerveau et desséché son cœur. Les fils des rudes ligueurs du XVIe siècle étaient devenus esprits forts et sceptiques au XVIIIe, et lorsque les événemens les appelèrent sur la scène politique, après une retraite de deux siècles, ils s’y présentèrent l’esprit troublé, le cœur vide de foi, et après avoir tari dans leur propre sein les sources de la charité et de l’amour. Les classés lettrées croyaient avoir découvert pour l’intelligence un autre flambeau et pour la vie une autre règle que la loi toujours ancienne et toujours nouvelle qui remonte par le passé jusqu’à l’origine des sociétés, et s’associe pour l’avenir à toutes les phases de leurs développemens successifs. La bourgeoisie répudiait les croyantes de ses ancêtres, le culte du foyer domestique, et, cessant de comprendre la gloire dont ses pères l’avaient couverte en triomphant du protestantisme, représenté par une aristocratie calviniste, elle attendait alors de la raison humaine la solution de tous les problèmes, aussi bien que la satisfaction de toutes ses vanités. Elle s’était faite rationaliste avec Rousseau, impie avec Diderot et cynique avec Voltaire. Cette altération du sentiment religieux a été l’origine première de ses fautes, la cause inspiratrice de ses plus funestes résolutions. Personne n’ignore que l’esprit philosophique provoqua dans la constituante les mesures qui contribuèrent le plus puissamment à susciter des résistances à la révolution et à en transférer la direction de la classe moyenne au peuple lui-même ; et, lorsque nous serons conduits à rechercher les causes qui, en 1848, arrachèrent si soudainement le pouvoir à la bourgeoisie, au faîte de sa puissance et de sa force, nous retrouverons cette même infirmité originaire, dont l’effet est de la rendre aussi confiante dans les succès que timide dans les revers.

La noblesse avait, comme la classe moyenne, ses passions natives, ses préjugés invétérés et ses illusions déplorables. Ni ses traditions, ni ses mœurs, ni ses idées, n’avaient prédisposé l’aristocratie française à la vie publique ; elle ne possédait aucune des qualités qui mettent en mesure d’en conjurer les orages. La noblesse n’avait été au sein de la monarchie qu’une admirable école d’honneur et de courage militaires. Elle avait accepté sans résistance le rôle auquel les rois avaient si long-temps