froissement que faisait déjà naître un désaccord chaque jour plus sensible, entre les mœurs de la cour et les intérêts nouveaux qui commençaient à dominer dans la nation. Le prestige qui entourait le monarque masquait ce qu’il y avait de contradictoire dans la situation d’un gouvernement placé sous la dépendance des capitalistes, puisqu’il ne vivait que d’anticipations et d’emprunts, et dans les habitudes d’une cour qui repoussait les hommes d’industrie et de finances et se montrait inabordable à quiconque ne justifiait point d’une extraction nobiliaire. À la mort de Louis XIV, une dette publique de plus de deux milliards témoignait à la fois et des malheurs du grand règne et des nécessites qui allaient bientôt changer la face de cette société imprévoyante et dissipatrice. Aux derniers jours de sa vie, le vieux roi, réduit aux extrémités, recevait Samuel Bernard à Marly ; il laissait approcher de sa personne en l’entourant de séductions et de flatteries un Juif qui voulait bien consentir à prêter quelques millions à son gouvernement aux abois.
Ce fut l’un des premiers symptômes de l’effroyable confusion qui, sous l’empire d’une convoitise sans exemple, allait bientôt altérer les mœurs, supprimer les distances, bouleverser toutes les fortunes et toutes les imaginations. Sous la régence, il devint impossible de ne pas pénétrer la portée du mouvement de transformation qui allait faire grandir les classes moyennes par l’irrémédiable dégradation des classes supérieures. Louis XIV serait mort de honte, s’il avait pu deviner que ces fiers gentilshommes qui se pressaient autour de lui chez Mme de Maintenon, et qui affectaient d’imiter la pieuse gravité du monarque, quitteraient bientôt les galeries de Versailles pour courir les tripots de Paris, solliciteraient pour leurs fils, la main de la fille d’un aventurier écossais, prodigueraient les flatteries sa maîtresse et se querelleraient comme des laquais pour se disputer des actions. Il serait mort de colère s’il avait pu soupçonner que les jugeurs en robe rouge qu’il allait visiter dans son costume de chasse casseraient avant même que ses restes fussent déposés à Saint-Denis, le testament par lequel il s’efforçait de survivre à lui-même.
Il n’y avait pourtant dans tout cela rien que ne laissât prévoir la nature même des choses. Lorsqu’un gouvernement dépense chaque année plus qu’il ne reçoit, et telle fût la situation de la monarchie française depuis Richelieu jusqu’à Calonne, il est contraint d’avoir recours au crédit et d’en subir tous les engouemens comme toutes les inconstances. Lorsqu’une aristocratie dépouillée de toute participation au pouvoir politique, n’au d’autre privilège que de faire des dettes et de contracter des mésalliances pour les payer, il n’y a point à s’étonner si cette aristocratie finit par se montrer peu scrupuleuse sur les moyens de relever sa fortune. Enfin, quand de grandes corporations