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noblesse, contenir le clergé, étendre les prérogatives de la couronne en centralisant de plus en plus le pouvoir, telles furent les maximes dont s’inspira la bourgeoisie française des le commencement du XIVe siècle. Lorsque la maison de Valois épuisait le vieux sang de la chevalerie pour assurer l’indépendance du territoire contre l’étranger et pour fonder celle du suzerain contre ses vassaux ; lorsqu’elle confisquait les richesses du Temple et dressait l’échafaud de ses moines héroïques ; quand, entourée de ses conseillers juifs et florentins, elle préparait ses édits sur les monnaies et poursuivait la double proie du pouvoir et de l’or ; lorsqu’elle luttait enfin contre les princes confédérés dans Paris et contre les Jacques insurgés dans les provinces, la royauté faisait la politique et les affaires de la bourgeoisie ; elle s’inspirait de l’esprit qui devait animer l’opposition janséniste des parlemens sous Louis XV, présider sous Louis XVI à la rédaction des cahiers transmis par les bailliages, et faire enfin explosion à la tribune de la constituante en résistant à la fois à l’émigration et à la montagne.

Assise sur les fleurs de lis et introduite dans les conseils des rois, la classe moyenne ne s’arrêta plus dans le cours ascendant de sa fortune. De nouveaux rapports s’étaient établis entre les peuples, et les hommes subissaient chaque jour l’excitation de besoins nouveaux. Une situation plus assise avait fait naître l’industrie, éveillé l’esprit de spéculation et, dès l’ouverture du XVe siècle, on voit le commerce maritime combiner ses opérations, du fond de l’Orient aux grands marchés de l’Europe. Tandis que l’imprimerie multipliait la pensée de l’homme, la boussole ouvrait à son activité des voies jusqu’alors ignorées. L’esprit de chevalerie et l’esprit d’entreprise, étroitement associés, inspiraient les héroïques aventuriers à la voix desquels les Amériques et les Indes sortaient du sein des eaux avec leur soleil éternel et leurs trésors inépuisables. Les sens reculaient la limite des désirs autant que l’intelligence élargissait la sphère des idées ; les combinaisons de la politique et celles du négoce commençaient à s’étendre d’un hémisphère à un autre, et la lettre de change était venue supprimer la distance entre les capitaux, comme la vapeur l’a de nos jours supprimée entre les peuples. Aux scolastiques du XIIIe siècle, aux légistes du XIVe, le XVe siècle ajouta ses hardis navigateurs portugais, ses fabricans des Flandres si redoutables à nos rois, et ses marchands d’Italie qui allaient échanger leurs comptoirs pour des trônes. À ce contingent, le XIVe siècle joignit bientôt ses artistes et ses savans ; l’âge suivant constitua la puissance officielle des gens de lettres et créa l’irrésistible magistrature de l’esprit : il ne restait plus qu’à joindre à toutes ces forces l’escouade des économistes et la franc-maçonnerie des philosophes pour voir se dérouler, dans l’infinie variété de ses origines et de ses aptitudes, la puissante armée qui commença la révolution de 89, fit à son profit