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quelque chose. Le Portugal n’est pas précisément blasé, comme nous l’étions, par l’excès du bien-être. Isolé, depuis plus d’un siècle, par la politique anglaise, de tout mouvement commercial ; dévasté, durant de longues années, par la guerre civile, ce pays est arrivé aux dernières limites de la misère et du découragement ; mais le découragement n’est pas moins dangereux que l’ennui. Le ministère Costa-Cabral et la majorité qui l’appuie doivent sérieusement se préoccuper de cette situation, qui appelle plus que jamais une politique vigoureuse et persistante, agressive même au besoin.

C’est cette politique qui a sauvé l’Espagne, en régénérant son esprit public et en groupant autour du ministère Narvaez toutes les forces vives de la nation. Le cabinet de Madrid va faire une nouvelle expérience de sa force, en dissolvant le congrès et en déférant de nouveau la politique conservatrice au jugement des électeurs. Quelques journaux français ont cru devoir envisager cette dissolution comme un expédient extrême, une sorte de coup d’état : c’est là une erreur grossière. Il est d’usage, dans presque toutes les monarchies constitutionnelles, de ne pas attendre, pour faire appel aux électeurs, que la chambre élective ait atteint la limite extrême de son mandat ; or, le congrès a déjà dépassé d’un an le terme qui était habituellement assigné à sa durée. Toute nouvelle prolongation de ses pouvoirs serait donc un manque de déférence et un acte de défiance vis-à-vis du pays. Le cabinet a d’ailleurs une impatience bien naturelle et très honorable à coup sûr de faire sanctionner officiellement par la nation ses immenses réformes, qui ont été posées en principe dans le cours de la présente législature. Il n’attend, pour publier l’ordonnance de dissolution, que le vote de la proposition tendant à convertir immédiatement en loi, avant toute discussion de détail, le projet de budget pour 1850, tel que l’a accepté la commission.

Cette proposition a été également très mal interprétée par quelques-uns de nos journaux, qui la considèrent tout à la fois comme un fait inconstitutionnel et comme une reculade du cabinet Narvaez devant l’opposition : c’est exactement le contraire. Abusant de la lettre du règlement pour placer, malgré lui, le gouvernement dans une situation extra-légale, la minorité, dès la présentation de la loi du budget, avait imaginé une foule d’amendemens, qui, si l’on avait suivi la marche habituelle, auraient ajourné l’adoption de ce budget à sept ou huit mois et condamné l’administration à percevoir, durant ce long délai, l’impôt sans autorisation préalable. La proposition dont il s’agit déjoue ce complot. En la formulant, le ministère a voulu prouver qu’il tenait à honneur de rester dans la légalité la plus stricte, et que, bien loin d’éluder certaines attaques dont on le menaçait, il se sentait assez fort pour hâter l’heure des explications. C’est à la fois un acte de haute constitutionnalité et un défi formel jeté à l’opposition.

Ce défi s’adresse, du reste, bien moins aux exaltés qu’aux conservateurs dissidens. Le ministère avait hâte d’en finir avec cette coterie hargneuse qui le harcèle depuis quelques mois, et qui, en affublant de principes modérés des prétentions qui l’étaient fort peu, aurait pu jeter à la longue une fâcheuse incertitude dans les esprits. Les ministres et les orateurs de la majorité l’ont saisie corps à corps, acceptant toutes ses interpellations, les provoquant même et la relançant sans pitié dans sa retraite dès qu’elle cherchait à éluder le