Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyons bien que la double suppression de l’instruction publique et du clergé dans le budget ferait une économie, à ne regarder que les chiffres ; mais cela ferait un douloureux déficit dans les ressources de la morale publique. La doctrine de M. de Langres détruit l’Université : c’est son beau côté à ses yeux ; mais elle détruit aussi le concordat : c’est son mauvais côté aux nôtres.

Si le vieil esprit de discorde a été beaucoup représenté dans la discussion, l’esprit nouveau, l’esprit de transaction et d’union y a été représenté aussi d’une manière éclatante par M. de Montalembert et par M. Thiers ; c’est même, grace à Dieu ! cet esprit qui a fini par prévaloir. Le discours de M. Thiers a fixé les bases, de la transaction, et personne ne les déplacera dorénavant. Comment ici ne pas signaler, ne fût-ce que par un mot, les services éminens que M. Thiers rend à la cause de la civilisation avec un dévouement que rien ne lasse et rien ne décourage ? Il y a des fermetés qui n’ont pas même besoin d’espérer pour être inébranlables, et c’est une de ces fermetés stoïques, mais ardentes et actives, une de ces fermetés comme il en faut aux temps où nous vivons, que M. Thiers apporte au secours de notre pays. En moins de quinze jours, il fait ce discours sur l’instruction publique, qui est l’ultimatum éloquent des amis de la paix des idées, et ce rapport sur l’assistance publique, qui est le manifeste des amis de la paix sociale.

Il y a, comme on sait, deux manières bien différentes d’entendre le dogme de la fraternité, et, par suite, de résoudre le problème de l’assistance publique. Il y en a une qui consiste à égarer la multitude sur la nature de ses droits, à lui dissimuler ses devoirs, à exagérer en elle le sentiment de ses maux, à lui promettre une félicité sans bornes, à lui dire que le seul obstacle à cette félicité est dans la résistance d’une société égoïste. Cette manière de comprendre la fraternité et l’assistance publique est celle des apôtres de février. Il y en a une autre, qui est tout l’opposé de la première, et qui consiste à dire au peuple l’exacte vérité sur l’étendue de ses droits et de ses devoirs, sur l’impossibilité de guérir toutes les souffrances, sur ce qu’il y a de chimérique, et en même temps sur ce qu’il y a de praticable et de sensé dans la poursuite des améliorations sociales, sur les résultats obtenus et sur ceux qu’il est permis d’espérer, résultats moins grands que nos désirs assurément, et qui seront toujours bornés, comme la puissance humaine. Cette seconde manière d’entendre et de résoudre le problème de l’assistance est celle de la commission dont l’honorable M. Thiers a été l’organe éloquent.

Tout le monde lira ce magnifique travail où M. Thiers, avec l’admirable justesse de son esprit, a posé les vrais principes de la bienfaisance individuelle et de la bienfaisance publique, en les séparant du faux alliage de la philanthropie socialiste, et en montrant encore une fois les illusions et les mensonges de cette philanthropie. C’est la philanthropie socialiste qui a dit que la misère donnait un droit contre la société : paroles fatales, qui ont déjà semé dans le monde des germes de dissolution que la sagesse des gouvernemens aura bien de la peine à étouffer. Si la misère donnait un droit, le devoir de l’assistance serait illimité, et l’assistance illimitée produirait la ruine et la misère de tous. La bienfaisance individuelle peut être illimitée, mais il n’en est pas de même de la bienfaisance publique. Il n’est pas permis à l’état de se ruiner par l’aumône, car son trésor est le patrimoine de tous, celui du pauvre aussi bien que celui