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hait le président autant que l’assemblée et l’assemblée autant que le président, attendu qu’elle les regarde avec raison comme ses deux adversaires et ses deux vainqueurs. Elle veut prendre sa revanche sur eux, et elle annonce hautement qu’au jour de son triomphe elle ne se laissera pas tromper et amadouer comme elle prétend qu’elle s’est laissé faire au 24 février. Et, pour le dire en passant, n’y a-t-il pas de quoi trembler ou de quoi rire, selon les goûts, quand la démagogie prétend qu’au 24 février elle n’a fait que la moitié de sa besogne ? Quelle est donc l’autre moitié ?

Ce jour de triomphe qu’annonce la démagogie, de quoi et de qui l’espère-t-elle ? Elle l’espère du suffrage universel, tel qu’il est organisé en ce moment. Elle a raison ; nous ne craignons pas, quant à nous, le suffrage universel lorsqu’il est vraiment universel, comme il l’a été au 10 décembre 1848. Le mouvement national qui corrigeait la révolution de février sur le dos de ses auteurs, et qui prenait pour devise le nom de Napoléon, ce mouvement faisait que tout le monde votait, et, comme tout le monde votait, le vote a été bon. Aux élections de mai 1849, il y a déjà eu moins de votans, et le vote déjà a été moins bon. Que sera-ce aux élections prochaines, si l’apathie des électeurs va croissant, si les inconvéniens du scrutin de liste dégoûtent chaque jour les citoyens de l’exercice d’un droit qui ne leur donne pas le plaisir de faire leur volonté ? La pire organisation du suffrage universel est celle qui fait voter le petit nombre au nom et sous l’abri du grand nombre. Or, n’est-ce pas l’organisation actuelle ? Il me faut voter sur je ne sais combien de noms inconnus en faveur d’un seul nom que je connais et que j’aime. C’est, comme on l’a dit, voter sur échantillon. Si l’on voulait garder le scrutin de liste par respect pour la constitution, et cependant avoir l’opinion réelle de l’électeur, il faudrait prescrire que le nom inscrit le premier sur la liste comptera plus que tous les autres. De cette manière, l’électeur aurait la faculté de dire sa pensée. Hors de là, tout est vide et faux dans le scrutin de liste, et tout est dangereux. Unir dans la même loi le suffrage universel et le scrutin de liste, c’est défaire d’une main ce que l’on fait de l’autre. Le suffrage universel doit être essentiellement spontané et individuel ; avec le scrutin de liste, il devient affaire de coterie et de comité, et cela nécessairement. Je défie qu’avec le scrutin de liste, le suffrage universel puisse agir, s’il n’y a pas des comités qui préparent la liste, et qui donnent la consigne. Le suffrage universel a la prétention de faire voter tous les individus ; le scrutin de liste a pour but de ne faire voter que les partis. C’est une institution essentiellement oligarchique, c’est-à-dire faite pour la domination du petit nombre sur le grand.

Pour éviter l’oligarchie démagogique que nous avons déjà supportée en février, il faut nécessairement changer l’organisation du suffrage universel. Or, qui peut faire ce changement, sinon le président et l’assemblée, s’ils s’accordent dans leurs volontés ? Avec leur accord, une bonne loi électorale qui interprétera la constitution dans le sens de la liberté et de la sincérité du suffrage universel, une bonne loi est possible. Sans leur accord, elle est impossible. Voilà ce qu’il faut bien comprendre. Nous continuons à réprouver de toutes nos forces les coups d’état violens et tapageurs dont la mise en scène ressemblerait à quelque mimodrame du Cirque-Olympique. Nous ne voulons que des changemens