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dans le cercle desquelles doit se mouvoir l’activité humaine, sous peine d’aller d’erreur en erreur. D’une puissance qui avait été le plus actif des dissolvans, il comprit qu’il était possible de faire, en y ajoutant le caractère moral qui lui manquait, une force sociale de plus. C’était en quelque sorte consacrer par la philosophie la révolution, en épurant et en complétant ses bases rationnelles. Ruiner dans l’enseignement public la triste métaphysique que nous avait léguée le dernier siècle ; établir contre le scepticisme qu’il existe, de par la seule raison régulièrement consultée, une philosophie éternelle et progressive tout ensemble, exprimée plus ou moins fidèlement dans les systèmes passés, une philosophie qui contient tous les principes essentiels, et, sur leur fondement inattaquable, élève une métaphysique, une morale, une religion naturelle, une théorie de la société, certaines et dignes de respect ; défendre, au nom d’une même doctrine, la liberté politique et l’ordre social ; appuyer pour la première fois la noble cause de 89 sur le spiritualisme ; distinguer profondément cette cause des conséquences fausses et coupables que le saint-simonisme commençait dès-lors à en tirer : voilà les principaux traits de son entreprise.

Veut-on savoir l’idée que M. Cousin, à peine âgé de vingt-trois ans, se faisait de la mission de la philosophie dans la société renouvelée, qu’on lise les paroles par lesquelles il termine sa première leçon à cette date mémorable de 1815 : « Je le sais, il ne m’appartient pas de parler avec empire ; mais cependant mon ame m’échappe malgré moi, et je ne puis consentir à garder les bienséances que m’impose ma faiblesse au point d’oublier que je suis Français. C’est à ceux d’entre vous dont l’âge se rapproche du mien que j’ose m’adresser en ce moment, à vous qui formerez la génération qui s’avance, à vous, l’unique soutien, la dernière espérance de notre cher et malheureux pays ! Messieurs, vous aimez ardemment la patrie ; si vous voulez la sauver, embrassez nos belles doctrines. Assez long-temps nous avons poursuivi la liberté à travers les voies de la servitude. Nous voulions être libres avec la morale des esclaves. Non, la statue de la liberté n’a point l’intérêt pour base, et ce n’est pas à la philosophie de la sensation et à ses petites maximes qu’il appartient de faire les grands peuples. Soutenons la liberté française, encore mal assurée et chancelante au milieu des tombeaux et des débris qui nous environnent, par une morale qui l’affermisse à jamais. » Ce n’est pas là une déclamation ; par ces paroles, M. Cousin donnait dès le début un sens non équivoque à sa pensée philosophique : les développemens ultérieurs n’en sont que la confirmation ; mais ce spiritualisme lui-même était alors à créer, à organiser. C’est à cette œuvre que nous allons assister.

Héritiers épurés de Jean-Jacques, déjà Bernardin de Saint-Pierre, Mme de Staël et Chateaubriand avaient jeté le spiritualisme au milieu