Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dramatique habilement nouée ; mais que de clinquant, que de fausses paillettes dans les scènes qui prétendent à la distinction suprême, à l’élégance proverbiale de Richelieu et de ses roueries ! que de concetti de mélodrame, que de formules surannées dans les scènes de passion ! On le sait, l’intérêt principal de cette reprise était la tentative de Mlle Rachel. Cette tentative a-t-elle complètement réussi ? Il est difficile de se prononcer : l’impression des deux premiers actes a été froide et mélancolique. L’actrice était évidemment dépaysée ; ce masque tragique qui paraissait presque aussi sombre que celui d’Hermione et de Phèdre, cette voix qui semblait poursuivre encore le rhythme et l’alexandrin absens, contribuaient mal à l’illusion et faisaient peu croire à la comédie. Cependant Mlle Rachel a retrouvé, dans les scènes dramatiques du troisième et du cinquième acte, plusieurs de ses beaux effets, et elle n’a pas été trop inférieure à elle-même dans tous les passages où elle a pu se sentir entraînée, soutenue par un souffle lointain de ses inspirations habituelles. Il serait injuste, nous le répétons, de rien conclure de ce début. Il y a dans la tragédie toute une part donnée au convenu, au factice, toute une mélodie prescrite, notée d’avance pour l’expression du sentiment et de la passion. Cette mélopée uniforme importunait encore Mlle Rachel, et c’est là peut-être tout le secret de la différence qu’ont remarquée les esprits chagrins entre certaines inflexions de l’éminente artiste et la diction si admirablement nuancée de Mlle Mars. Ce qu’on ne saurait contester à Mlle Rachel dans ce rôle de Mlle de Belle-Isle, c’est l’extrême distinction, qualité qui ne l’abandonne jamais, et que rendait cette fois plus frappante le voisinage d’une actrice assurément fort brillante et fort parée, mais toujours un peu soubrette dans le rôle de la marquise de Prie. Au reste, la représentation n’a pas manqué d’ensemble. Richelieu a eu de l’entrain et de l’ampleur ; le chevalier d’Aubigny a été passionné et pathétique, et l’on peut croire qu’aux représentations suivantes Mlle Rachel, mieux acclimatée à cette prose très différente des vers de Corneille et de Racine, atteindra la vraie nuance et complétera un succès où se mêlait, l’autre soir, un sentiment de tristesse inspiré par des traces visibles de fatigue et de souffrance.

C’est une impression beaucoup plus gaie que l’on va chercher aux Porcherons, le nouvel opéra de M. Grisar, qui continue la bonne veine de l’Opéra-Comique, et ajoute à la réputation musicale de l’auteur de Gilles Ravisseur. Cette fois, M. Grisar a eu trois actes à mettre en musique, et il s’est fort habilement tiré de cette tâche difficile. La pièce, un peu lente dans les deux premiers actes et fort invraisemblable dans l’ensemble, se relève et s’anime à la fin ; le troisième acte offrait au compositeur un excellent cadre dont il a tiré bon parti. Chaque soir, on applaudit avec chaleur le chœur bachique, les couplets du sergent, pleins de mouvement et d’ampleur, la ronde des Porcherons, l’air de Mlle Darcier et le finale. Ce qui manque à cette musique, c’est le développement : les idées sont fines, élégantes ; mais, au moment où l’on s’attend à les voir prendre leur essor et se traduire en mélodies, elles s’arrêtent, se morcellent ou s’éteignent dans les profondeurs de l’orchestre. Toutefois la distinction et l’élégance sont si rares, qu’il y a lieu d’applaudir sincèrement au succès des Porcherons, et de constater les progrès de M. Grisar.

Pendant que l’Opéra-Comique fait alterner avec bonheur la Fée aux Roses et les Percherons, Mlle Ugalde et Mlle Darcier, le Théâtre-Italien n’est pas toujours