sans scrupule à sa passion désintéressée d’aristocratie et de noblesse. M. Eugène Sue apportait alors dans ces tendances cette manie d’exagération à laquelle échappent rarement ceux qui veulent flatter un monde dont ils ne sont pas, et où ils espèrent se faire adopter à force de complaisances.
Hélas ! la société était alors assez heureuse, assez paisible, pour se permettre ces concessions et ces faiblesses. Lorsque parurent les Mystères de Paris, on n’en aperçut pas tout d’abord le côté coupable et dangereux, et la curiosité fut d’autant plus vive, que l’écrivain nous transportait dans des régions inconnues où tout était découverte et surprise pour ses lecteurs habituels. Il est permis de supposer que M. Eugène Sue, en commençant les Mystères de Paris, ne prétendait qu’à ce succès de curiosité, d’émotion violente ; ensuite, lorsque les positions se dessinèrent, lorsque, effrayées par ce succès même, des voix s’élevèrent pour protester contre l’indécence de ces peintures, contre les miasmes délétères qui s’exhalaient de ces récits, l’auteur jugea convenable d’alourdir de digressions humanitaires, socialistes et économistes, certaines parties de son ouvrage. Il ne visa plus au Lauzun ni au Brummel, mais au Vincent de Paule, à un Vincent de Paule falsifié, dont les tendresses, imprégnées de fiel, se nourrissaient de Fourier et deM. Considérant. Mélange venimeux et funeste, qui alléchait, par des théories alors nouvelles sur le partage, le droit au travail et l’assistance, des imaginations attirées par les voluptueux tableaux des jouissances du vice opulent ! Une fois la position prise, M. Sue ne la quitta plus, et aujourd’hui le voilà tombé, de chute en chute, aux Mystères du Peuple !
Qu’est-ce donc que ce livre des Mystères du Peuple, qui n’ose pas s’étaler aux regards dans les librairies ou les cabinets de lecture, mais qui se vend à domicile, et pour lequel on demande des commis-voyageurs qui en activent, dans toute la France, la circulation et le débit ? C’est l’amas de tous les mensonges, de toutes les calomnies, de tous les blasphèmes qui ont attaqué tour à tour la religion, la noblesse, la royauté, les principes d’autorité, de respect et d’ordre, mis en relief, non sans habileté et sans vigueur, dans un de ces immenses récits dont M. Sue excelle à tisser la trame grossière, et qui donnent à l’enseignement corrupteur l’attrait d’une émotion dramatique ou romanesque. On a peine à se figurer tout ce que l’auteur a déjà accumulé de monstruosités et d’infamies dans cette œuvre dont il n’a publié encore que les premiers chapitres. Sans doute, pour le lecteur quelque peu éclairé ou délicat, ces monstruosités perdent, par leur excès même, beaucoup de leur importance et de leur péril. On hésite entre le dégoût et le mépris lorsque M. Sue nous raconte son histoire de la jeune fille enterrée vivante par trois moines rouges, lorsqu’il met en scène, le jour même de la révolution de février, un cardinal auprès duquel les cardinaux de Richelieu et de Lorraine sont des modèles de libéralisme et de douceur, et qui discute avec son neveu, colonel de dragons, sur les moyens de ramener enfin le droit du seigneur et la dîme. On sourit de pitié, lorsque le romancier, si impitoyable pour les évêques et les cardinaux, si prodigue d’invectives contre les ministres et les cérémonies du christianisme, s’éprend d’un bel enthousiasme pour la sublimité du culte des druides, ou bien lorsque, déclarant la guerre aux cheveux blonds et aux nez crochus, indices de la race oppressive, il met dans la bouche de son héros, modèle de toutes les vertus et insurgé de toutes les émeutes, un incroyable abrégé de l’histoire de France,