élégance, fleurs délicates qui ont peine à s’acclimater au tumulte. L’orageux langage d’une politique turbulente est pour eux, j’imagine, ce que fut la Marseillaise pour Mlle Rachel et pour les grands chanteurs : quelque chose d’insolite et de violent qui force le ton. M. Hugo, nous le craignons, n’échappera pas à ce péril ; M. de Lamartine y a déjà succombé. Dans la plupart des pièces inédites que renferme la nouvelle édition de ses œuvres, on cherche en vain la muse enchanteresse qui, des Méditations à Jocelyn, nous a si souvent enivrés de ses sourires et de ses larmes. La forme n’y est pas seulement incorrecte : on sait que depuis long-temps M. de Lamartine ne prend plus la peine de corriger et d’assouplir ses vers ; l’inspiration même est absente, et c’est à peine si quelques rares lueurs rachètent çà et là cette poésie traînante et embarrassée. On a cité le Grillon du foyer ; c’est là un charmant sujet de rêverie intime et domestique, un thème familier autour duquel Burns ou les lakistes eussent enroulé avec grace et mélancolie un petit drame d’intérieur. Sans doute le sentiment existe dans les strophes de M. de Lamartine, mais l’exécution n’est-elle pas restée bien imparfaite là où l’achèvement et la ciselure étaient nécessaires ? Parlerons-nous du Trophée d’armes orientales ? L’auteur termine en célébrant l’homme des batailles qui fête ses fiançailles
Avec la belle mort qu’il cherche au lit du sang.
Quel vers ! quel ton criard ! On rencontre, à chaque instant, de ces dissonances dans les pièces nouvelles de M. de Lamartine. Y a-t-il lieu de s’en étonner ? Chez l’illustre poète, la forme a toujours été moins remarquable que cette puissance de souffle, et pour ainsi dire ce battement d’ailes qui nous enlevaient avec lui vers les régions idéales. Même dans le Lac, dans le Golfe de Baïa, dans les morceaux les plus justement admirés, et où un sentiment incomparable sauvait et emportait tout, la langue poétique manquait de précision et de nouveauté. L’année y finissait sa carrière ; le soleil se plongeait dans le sein de Thétis ; le vrai style de la poésie moderne y était encore à l’état d’enfance et s’y permettait des banalités de Delille ou de Chompré, que M. Hugo : s’est interdites, que M. de Musset a naturellement évitées. Aujourd’hui que le souffle est épuisé et que le poète a cru devoir à la grandeur de ses destinées politiques le sacrifice de toute correction dans ses vers, il est tout simple qu’on soit plus choqué de ce que la forme garde de défectueux et d’insuffisant. Non-seulement les pièces inédites n’ajouteront rien à la gloire de M. de Lamartine, mais elles aideront à découvrir les côtés faibles de ce talent, qui, non content de se déserter, a fini par se trahir.
Pourtant, malgré l’entraînement funeste des uns, l’insouciance mélancolique des autres, il existe encore de nobles esprits qui, sans s’imposer l’ennui de maudire, de réfuter ou de haïr, poursuivent, avec une sérénité que rien n’altère et ne décourage, leurs travaux, leurs études et leurs rêves. Sous le titre de Littérature, voyages et poésies, M. Ampère nous donne deux volumes où éclate, sous de nouveaux aspects et avec des richesses nouvelles, cette faculté compréhensive, pénétrante, que nul ne possède à un degré plus éminent. Ce qui donne, selon nous, à M. Ampère une physionomie originale et particulièrement attrayante, c’est, en dehors d’une érudition immense, d’un savoir