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<poem>… « Un mal dangereux qui touche à tous les crimes,
La sourde ambition de ces tristes maximes
Qui ne sont même pas de vieilles vérités,
Et qu’on vient nous donner comme des nouveautés ;
Vieux galon de Rousseau, défroque de Voltaire,
Carmagnole en haillons volée à Robespierre,
Charmante garde-robe où sont emmaillottés
Du peuple souverain les courtisans crottés ;
Puis enfin, tout au bas, la dernière de toutes ;
La fièvre de ces fous qui s’en vont par les routes
Arracher la charrue aux mains du laboureur,
Dans l’atelier désert corrompre le malheur ;
Au nom d’un Dieu de paix qui nous prescrit l’aumône,
Traîner au carrefour le pauvre qui frissonne,
D’un fer rouillé de sang armer sa maigre main,
Et se sauver dans l’ombre, en poussant l’assassin. »

Nous le demandons à M. de Musset : est-ce assez aujourd’hui que de réimprimer ces beaux vers, écrits il y a huit ans ?

Le mal des gens d’esprit, c’est leur indifférence,

a-t-il dit en un autre endroit de cette satire. Voilà justement ce dont nous sommes tentés de nous plaindre : ce mal des gens d’esprit, cette indifférence des talens fins et délicats, est une de leurs graces ; mais n’est-ce pas aussi une de leurs vanités ? Que cette vanité se cache sous un dédain légitime, en face de nos pauvretés et de nos misères, ou bien qu’elle se montre dans une ambitieuse envie d’intervenir, de prendre part au tumulte et au pêle-mêle pour s’en faire le héraut et le guide, n’est-ce pas toujours un symptôme de cette maladie du siècle, de ce personnalisme qui se préfère aux intérêts de l’humanité et de la vérité ? Voilà de bien grands mots, et déjà il me semble entendre M. de Musset répliquer, en souriant, que c’est là bien de l’appareil et du bruit à propos de Ninette et de Ninon. Pourtant il avait, ce nous semble, un beau pendant à donner à ses vers sur la Paresse : au lieu de vagues symptômes et de prévisions confuses, la révolution plaçait sous ses yeux, dans toute leur réalité brutale, ces maux dangereux qui touchent aux crimes, et qui pouvaient bien défrayer un de ces jets d’inspiration indignée et soudaine, où l’élégance du ton et de l’allure relève, au lieu de l’amoindrir, l’énergique franchise de la pensée. André Chénier, dont M. de Musset, dans une des plus charmantes pièces de son nouveau recueil, évoque un gracieux souvenir qu’il entrelace avec un souvenir de Molière et du Misanthrope, André Chénier n’était pas, que nous sachions, un poète de trempe trop commune, trop suspect à l’Attique et aux abeilles. Eh bien ! en face des crimes et des folies de la première orgie révolutionnaire, ce talent si pur n’a-t-il pas senti tressaillir en lui la corde vengeresse ? Cette colère virile et enflammée n’a-t-elle pas éclaté dans les Iambes ? et les bourreaux barbouilleurs de lois ne succèdent-ils pas, dans ces pages mutilées par le bourreau lui-même, au sourire enivré de Néère et de Camille ? Peut-être M. de Musset répliquera-t-il que nous n’en sommes pas à 93, que les barbouilleurs de lois, s’il en existe aujourd’hui,