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ne le serait point pour les sociétés sur cette terre. À la rigueur, cela se peut, car l’Évangile, qui a tout fait pour les sociétés, ne leur a rien promis. Il n’a fait appel directement qu’à l’individu. Mais un chrétien est excusable de vouloir espérer de lui un bienfait de plus, et de croire que le christianisme communique à tout ce qu’il touche, homme, société, civilisation, patrie, une flamme qui peut s’obscurcir, mais non pas s’éteindre, et qui se rallumera toujours à travers les âges. Était-ce là ce que voulait dire M. Ballanche sous ce nom un peu métaphysique de palingénésie sociale ? Était-ce cette régénération dont il parlait ? Nous serions porté à le penser ; mais c’est à M. de Saint-Priest que nous le demanderons. Nous craindrions, faut-il le dire ? d’aller le vérifier nous même. Nous aimerons toujours mieux contempler la pensée de M. Ballanche dans le miroir limpide où son panégyriste la reproduit.

Nous voilà bien loin de l’Académie, bien loin surtout de M. Vatout, dont l’éloge mérité et vivement senti forme la conclusion du discours. Tout est dans tout cependant, et rien n’est absolument sans rapport avec rien, dans cette grande unité que les révolutions établissent entre les hommes. Le nom de M. Vatout se rattache d’une façon inséparable à l’une des plus belles œuvres de ce règne pour lequel la justice de la postérité aura tant à faire, puisque l’injustice des contemporains a dépassé la mesure commune : la restauration des palais royaux et la réconciliation au sein de la gloire de tous les grands souvenirs de la France. S’il y a eu un jour où on a pu croire que la révolution française était finie, c’est le jour où Versailles a été ouvert. Versailles rendait un passé à la France, sans lui enlever son présent. Il n’y eut jamais d’œuvre plus anti-révolutionnaire. La révolution liait le passé, et ses images lui causent des accès véritablement frénétiques. Les tableaux, les statues, sont les premiers objets de ses fureurs ; elle y reconnaît ses ennemis. Le roi qui a consacré dans ce sanctuaire la mémoire de tous les grands hommes, le prince, royal qui marchait sur leurs traces, n’ont plus eux-mêmes une statue qui les rappelle à la France. La voix courageuse de M. de Saint-Priest aura la première fait entendre aux exilés les premiers mots du jugement de l’avenir.

L’émotion de ces vicissitudes mystérieuses, les souvenirs d’une amitié sincère pour M. Vatout avaient communiqué au discours de M. Dupaty une sensibilité qui a été partagée par l’assemblée. L’appréciation très fine du genre de talent de M. de Saint-Priest a été aussi très applaudie par un auditoire qui venait d’avoir le modèle sous les yeux, et a dignement terminé cette séance, une des plus animées dont l’Académie garde le souvenir.


ALBERT DE BROGLIE.