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comptons dans le nombre) trouveront satisfaction dans cette explication intelligente des ressorts de son talent. Les amis absolus de la partie contestable de ses doctrines s’en plaindront peut-être ; ils regretteront que M. de Saint-Priest, en prononçant le mot clé cruauté, n’ait pas rappelé en présence de quels faits l’ame irritée de M. de Maistre s’était exhalée dans ses écrits. C’était une génération nourrie par des déclamations sur la tolérance, par de larmoyantes idylles sur l’humanité, qui tout d’un coup s’enivrait de sang humain. Les rhéteurs de la convention avaient passé leur jeunesse à tresser des bouquets à Chloris et à répéter des comédies sentimentales. Cette littérature doucereuse des dernières années du XVIIIe siècle, arrivant avec l’écho des cris de la populace, avait je ne sais quelle saveur à la fois fade et sanglante qui soulevait le cœur. Ce fut le dégoût encore plus que l’indignation qui fit M. de Maistre orateur, et lui inspira ces élans d’éloquence abrupte. S’il a excusé la torture, c’était en pensant à Fouquier-Tainville ; s’il a défendu l’inquisition, c’était au lendemain du comité de salut public. Les bourreaux philosophes de Paris ne tarissaient pas de sensibilité dans leurs paroles : par un mensonge plus excusable, et pour ne les imiter en rien, le chrétien de Saint-Pétersbourg fut souvent dur dans son langage. On perdait l’humanité en la flattant. M. de Maistre voulut trop souvent la sauver en l’offensant. Ce fut un tort, nous l’avons toujours pensé ; mais il n’en fut pas moins, depuis Bossuet et Fénelon, le premier écrivain de génie qui eût, en français, parlé aux hommes d’autre chose que de leurs passions, de leurs intérêts et de la terre. Voilà ce que M. Ballanche pensa sans doute, et voilà pourquoi, après avoir combattu M. de Maistre, il ne cessa jamais d’en parler avec une sincère admiration et versa même quelques larmes sur sa tombe.

Au fond, et à le bien prendre, le point du débat entre eux, débat qui dure encore et dont nous ne verrons pas la solution, c’est de savoir si les sociétés chrétiennes doivent périr comme ont péri les sociétés païennes. Si la révolution française considérée en masse, tout le bien et tout le mal compensé, est la décadence de la civilisation, comme elle est aussi, non pas dans ses crimes assurément (nous ne donnerons jamais aux crimes ces excuses fatalistes), mais dans ses idées générales et dans ses résultats sociaux, le développement assez naturel de tous les principes déposés au sein des sociétés modernes depuis l’ère chrétienne, il s’ensuivrait que ces sociétés ont trouvé leur mort au bout de leur développement même. Elles seraient alors semblables aux corps mortels qui commencent de décliner le jour où ils ont atteint leur plénitude de croissance. Elles ne seraient pas comme l’ame chrétienne, qui ne cesse jamais de s’élever et de grandir. Gage d’immortalité pour les individus dans une autre existence, le christianisme