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prélude d’une égalité véritable. Ce qu’elle n’avait jamais voulu faire sur les bancs des états-généraux ni même du parlement, l’aristocratie française y consentit sur les fauteuils de l’Académie. Elle fit à son goût, ou, si l’on veut, à ses prétentions littéraires, le sacrifice qu’elle avait refusé à ses intérêts politiques. L’Académie française est le seul théâtre où l’égalité ait été concédée sans avoir besoin d’être conquise.

C’est par là que l’Académie française représente éminemment un des faits les plus frappans de notre histoire : le mélange de l’esprit littéraire à tout le développement social et politique du pays. Peu savante d’ordinaire, lisant peu et surtout impatiemment, la nation française est pourtant, qui ne l’a remarqué ? imbue de littérature jusqu’à la moelle de ses os. Les lettres ont éclairé ses jours de gloire, et l’ont consolée dans ses jours d’humiliation passagère : elle est restée littéraire dans ses plus sombres jours de crime. Sa première révolution fut préparée dans les académies, inaugurée dans les théâtres, et resta académique et théâtrale jusqu’au pied de l’échafaud. Que de têtes roulèrent alors pour arrondir une période ! Comme l’instrument de mort frappait avec la froide symétrie d’une antithèse de rhétorique ! Et, hier encore, tout un peuple frémissant ne s’arrêtait-il pas ébloui par le faux éclat d’une métaphore et charmé par les accens pompeux d’une voix moins juste que sonore ! Avec un peu d’amour-propre et moins de patriotisme, l’Académie pouvait se dire qu’après tout la révolution de février n’était faite que pour porter à la tête des affaires un de ses membres au lieu d’un autre. Ce ne serait donc pas un des moins bons moyens d’apprécier en France le véritable état de l’opinion et d’essayer quelque prévision de l’avenir, que de regarder dans quel sens se porte le mouvement littéraire. Là où est la vive et saine littérature du pays, là sont ses véritables sentimens, là doit s’arrêter le succès définitif. À ce compte, nous devrions reprendre confiance, car si, il y a cinquante ans, la littérature portait à pleine voile vers la révolution, elle y résiste aujourd’hui par ses meilleurs organes. Elle attaquait alors, elle se défend maintenant ; elle détruisait, elle conserve ; ce fut un adversaire dangereux, c’est un allié que nous ne devons pas dédaigner. Miracle pour miracle, assurément, il lui a été plus facile alors d’abattre les murailles de Jéricho au son de la trompette qu’il ne lui serait aujourd’hui de relever, par une harmonie nouvelle, les remparts détruits de Thèbes ; mais enfin la littérature a enfanté la société nouvelle : c’est bien le moins qu’elle la protège. Elle nous a faits tels que nous sommes, qu’elle tâche de nous conserver comme elle nous a faits. Il y va de son sort comme du nôtre. Au sein de tentatives révolutionnaires qui puisent uniquement cette fois leur force dans des appétits matériels, il n’y aurait plus de place pour l’intelligence. La révolution qui nous menace n’aurait, en fait de poésie, pas