en partis et jamais en classes. Deux fractions de l’aristocratie, s’appuyant de préférence, l’une sur les intérêts agricoles, l’autre sur les intérêts commerciaux, conduisaient les tories et les whigs ; mais, au sein de chaque parti, il n’y avait point de solution de continuité depuis les premiers rangs de l’échelle sociale jusqu’aux derniers. L’aristocratie a toujours été la première à appeler dans son sein tout individu qui s’est élevé par la science ou le talent. Il en est résulté que les débats politiques ont toujours été un duel entre les partis et jamais une lutte entre des classes différentes de la société. C’est cet état de choses que l’école de Manchester tend à changer en affectant d’introduire dans la politique des classifications nouvelles, de traiter les whigs comme représentant aussi exclusivement que les tories les intérêts aristocratiques, et de se donner comme seul organe de l’élément populaire de la nation. Cette classification conduit à identifier les whigs avec les tories et à substituer les luttes de classes aux luttes d’opinions. Qui sait même si ce qui n’est encore en ce moment que l’effort de quelques hommes ne va pas devenir l’œuvre du temps et des événemens ?
Nous ne voulons pas voir dans cette transformation des partis un présage de malheur pour l’Angleterre, ni même un symptôme de décadence. Peut-être est-il nécessaire que les classes commerçantes et industrielles soient appelées à partager la possession du sol aussi bien que l’influence politique, et que la création d’un grand corps de propriétaires vienne opposer une barrière infranchissable au socialisme, dont les progrès pourraient être rapides dans un pays où la propriété foncière est le privilège d’un petit nombre de familles, et où tant de richesse coudoie tant de misère. Nous avons seulement le droit de dire que le jour, déjà facile à prévoir, où les whigs seront rejetés dans les rangs des tories et auront à défendre avec eux contre les classes moyennes les derniers débris de l’influence aristocratique, ce jour-là marquera l’avènement de la démocratie, car la direction de l’intelligence aura fait place à la domination du nombre ; et l’œuvre de sir Robert Peel aura porté ses dernières conséquences. Sir Robert Peel, en abolissant les corn-laws, a-t-il obéi à une inexorable nécessité, ou bien, par une faiblesse à laquelle les plus patriotiques esprits succombent quelquefois, ne voulant pas emprunter à ses adversaires une politique qu’il avait combattue, et préférant les dépasser pour se distinguer d’eux, a-t-il devancé l’heure du sacrifice ? C’est là une question sans importance en présence des faits accomplis. Une seule chose est certaine, c’est qu’il a porté le premier coup, et le coup décisif, à ces institutions qui ont donné à l’Angleterre cent soixante ans de prospérité et de grandeur.
CUCHEYAL-CLARIGNY.