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qu’elle peut recevoir de la ruine du marché intérieur. Une des premières autorités économiques de la Grande-Bretagne, M. Jones, commissaire du cadastre, dit, dans un ouvrage sur le revenu de l’Angleterre, que l’agriculture, après avoir mis en réserve ce qui est nécessaire à sa propre consommation, apporte sur le marché des produits pour une valeur de 100 millions sterling. Lorsque l’agriculture n’est pas prospère, l’économie la plus habituelle et la plus facile pour les fermiers est de diminuer le nombre des bras qu’ils emploient. Ils arrivent presque imperceptiblement à économiser 25 pour 100 sur les frais de production ; mais les produits ne tardent pas à être réduits dans la même proportion, et les fermiers n’apportent plus sur le marché que 75 millions au lieu de 100. Ainsi, sans parler des salaires supprimés, qui eussent alimenté le petit commerce, voilà une valeur de 25 millions sterling qui eût été échangée contre les produits de l’industrie, et qui disparaît du marché intérieur, — 25 millions, c’est-à-dire un capital égal à la moitié de tout le commerce extérieur de l’Angleterre ! Mais une pareille considération n’est pas de nature à arrêter l’industrie anglaise ; l’approvisionnement du marché intérieur n’est pour elle, comme le disaient les orateurs de la ligue, qu’une bagatelle ; ce qu’il lui faut pour ne pas succomber sous l’encombrement des produits, c’est de pourvoir à l’approvisionnement du monde entier. Il y a à Manchester tel métier qui peut fabriquer par semaine trois millions de mètres de calicot, et qui, en fonctionnant toute l’année, suffirait à habiller la France entière. C’est là la grandeur à la fois et la faiblesse de l’industrie anglaise ; il lui faut dominer tous les marchés de l’univers ou périr. Tout progrès des industries étrangères lui est funeste, et aujourd’hui elle ne peut maintenir sa supériorité qu’en réduisant aussi bas que possible les frais d’entretien de ses esclaves. L’abolition des corn-laws lui assure peut-être un répit de dix ans ; elle ne se laissera pas enlever le prix de tant d’efforts. M. Cobden disait à Leeds, il y a trois mois, que si le parlement taxait de nouveau le pain et décrétait la ruine de l’industrie, celle-ci jetterait sur la place publique un million d’ouvriers affamés, et qu’alors sauverait qui pourrait le trône et la nation. On a fait remarquer que tel clubiste irlandais expiait actuellement aux Bermudes des discours moins incendiaires. Le 22 janvier, à Sheffield, M. Cobden s’exprimait de la même façon : « Nous n’entendons pas qu’on nous ramène au passé. J’en avertis ces dignes gentlemen qui font tant de tapage à Croydon, à Reading, à Worcester, dans leurs réunions publiques, et qui rossent à l’occasion les free-traders ; je leur déclare, je leur signifie en propres termes que nous n’entendons pas laisser de nouveau taxer notre pain, et, dussent-ils avoir une majorité dans le parlement, je les mets au défi de l’oser faire. »

Ce qui fait des Anglais un peuple essentiellement politique et tout-à-fait