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dans sa fortune, ne ferait pas usage des armes qu’elle a entre les mains pour ressaisir le pouvoir et changer une législation qui lui est funeste ; comment espérer qu’avec ses immenses ressources, elle ne réussirait pas tôt ou tard à l’emporter dans le parlement, elle qui a pu dire avec tant de raison, par la bouche de lord George Bentinck, qu’elle avait été trahie, mais non battue, qu’elle avait été victime d’une surprise, parce que quatre-vingts personnes avaient voté contre leurs engagemens les plus solennels ? Pour prévenir ce retour probable de la fortune, il n’est qu’un moyen, celui de mettre le libre échange sous la garde de ceux qui en profitent, celui d’appeler au partage des droits politiques la classe que ses intérêts rapprochent de l’industrie plutôt que de l’agriculture, et de créer, pour la défense de la législation nouvelle, un corps nouveau d’électeurs.

Nous serions tenté de croire que cette mesure, qui est nécessaire pour assurer la longévité du ministère, n’est pas indispensable pour maintenir la liberté du commerce des grains. On affecte de redouter pour le cabinet des votes de coalition. La session dernière, on annonçait de mois en mois le renversement du ministère, parce que les tories devaient voter avec les jeunes peelites sur les questions de politique étrangère et les questions coloniales. Le ministère a toujours eu une majorité considérable. Cette année, sur les mêmes questions, les tories voteraient avec les radicaux contre le cabinet ! Cela nous paraît peu probable. On sait déjà que, sur les questions coloniales, le ministère adopte presque entièrement le plan des radicaux, et qu’il va offrir à toutes les colonies une liberté à peu près complète. Resterait donc la question des îles Ioniennes et celle des réfugiés italiens que le gouverneur de Malte n’a pas voulu laisser débarquer. Sur ces questions, les tories, au nom de l’humanité, voteraient avec les radicaux ! Nous ne croyons pas ces derniers disposés à fournir à leurs adversaires éternels les moyens de mettre le cabinet en minorité, nous ne voyons pas surtout ce qu’ils pourraient gagner à un changement de ministère ; mais supposons que cette hypothèse se réalise : elle aurait pour conséquence l’arrivée au pouvoir des tories. Nous doutons fort que ceux-ci entreprissent de rétablir des droits protecteurs. Quelques-uns des plus ardens d’entre eux sont les premiers à dire que l’épreuve du libre échange n’a pas encore été assez longue, qu’il faut qu’elle soit complète et décisive. M. Disraëli lui-même a été quelque temps avant de se décider à parler du rétablissement d’un droit protecteur, et il ne l’a fait qu’avec une répugnance manifeste.

Les chefs des tories sont des hommes aussi patriotes qu’éclairés ; ils ne se dissimulent pas que l’abaissement du prix des grains est une question d’existence pour l’industrie, et que celle-ci défendra sa victoire avec l’énergie du désespoir. Elle ne s’inquiète pas du contre-coup