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de cette mesure, parce qu’elle a aidé l’Angleterre à traverser sans catastrophe la disette de 1847, parce que seule elle a permis d’alléger les souffrances du pays en appelant au secours de l’Angleterre la force productive des autres nations. Sur ce point, on peut répondre à sir Robert Peel qu’il fait gratuitement honneur à sa politique d’une efficacité qu’elle n’a pas. En effet, sous le régime de l’échelle mobile, au prix où le blé arriva en Angleterre en 1847, tout droit à l’importation se serait trouvé suspendu ; l’entrée des blés étrangers aurait été aussi libre par la suspension que par la suppression définitive des droits. Seulement, dans ce cas, l’agriculture anglaise, la disette passée, se serait retrouvée sous la protection du tarif, au lieu d’être à jamais privée de cette protection. On ne peut même pas dire qu’il y ait eu économie pour la masse de la nation, attendu que les sommes nécessaires à l’entretien des indigens pendant la disette, qu’elles aient été dépensées sous la forme d’augmentation dans les poor-rates ou taxes d’assistance, ou sous la forme de blés achetés à l’étranger et revendus au-dessous du prix d’acquisition, ou enfin sous la forme d’une subvention directe aux indigens, ont toujours été dépensées. Une disette entraîne forcément pour une nation une perte de capital qu’on ne peut ni éviter ni alléger. Sir Robert Peel attribue avec plus de raison à l’abolition des corn-laws le bas prix des denrées alimentaires et une part d’influence sur l’activité de l’industrie manufacturière. Il n’a point eu de peine à prouver, plus complètement encore que ne l’avait fait sir George Grey, que l’industrie était dans un état prospère, et il a mis à néant les plaintes que M. Disraëli avait faites sur le sort des fabricans. L’orateur a pris de là occasion pour exposer et glorifier, dans la dernière partie de son discours, la théorie du libre échange, telle qu’elle est professée à Manchester. Sans contester les titres d’Adam Smith aux éloges que lui décerne sir Robert Peel, sans engager ici une discussion théorique, on peut faire remarquer que l’adoption des doctrines du free-trade par les manufacturiers anglais n’a point été le résultat spontané du progrès des lumières, mais le contre-coup d’une impérieuse nécessité. Les fabricans anglais ont renoncé aux droits protecteurs parce que ces droits étaient inutiles à presque toutes les industries anglaises, ainsi que le prouvaient les relevés des douanes, et ensuite parce qu’ils ne pouvaient exiger des agriculteurs l’abandon de la protection sans commencer par abandonner eux-mêmes le tarif qui les protégeait. L’exemple donné par eux pouvait seul leur créer une sorte de droit à réclamer des autres classes de la nation un sacrifice analogue au leur. On peut demander en outre si les doctrines libre-échangistes n’ont pas été imposées à l’Angleterre par la persistance du peuple américain à maintenir chez lui le système protecteur. Les États-Unis ont toujours été et sont encore le marché le plus considérable de l’industrie anglaise ; c’est après la guerre de 1812 seulement qu’ils ont commis cette grande erreur, au