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immédiate une réduction dans les salaires des ouvriers. Qui donc avait raison, en 1846, de M. Cobden ou de lord George Bentinck ? M. Cobden et ses alliés de toutes les dates se donnaient comme les avocats des ouvriers ; c’est au nom du peuple, dont ils voulaient soulager la misère, qu’ils réclamaient l’abolition des lois sur les céréales ; ils plaidaient la cause de la nation entière en demandant pour elle le pain à bon marché. Lord George Bentinck répondait qu’il ne s’agissait pas là d’un intérêt général, mais de l’intérêt particulier des lords du coton et de la laine ; que ceux-ci voulaient abaisser le prix du blé pour abaisser dans la même proportion le salaire des ouvriers, qui ne gagneraient rien à ce changement. Cette dernière prédiction est aujourd’hui entièrement vérifiée ; « le tour (trick) a été fait, » et vienne un temps d’arrêt, une crise qui oblige à ralentir la production et à diminuer les jours de travail : l’ouvrier anglais se trouvera de nouveau aux prises avec le besoin ; il sera exactement dans la même situation qu’avant 1846. Les manufacturiers seuls ont gagné à cette révolution un bénéfice clair et net. C’était donc sans aucun fondement qu’on faisait intervenir dans le mémorable débat de 1846 soit le bien-être du pauvre, soit la prospérité de la nation en général : il n’y avait en présence que deux classes rivales, les chefs de fabrique et les propriétaires fonciers, dont les intérêts étaient en complète opposition. Ce sont les premiers qui l’ont emporté ; nous n’avons aucun sujet de nous en affliger ou de nous en réjouir ; nous constatons seulement ce fait, et nous en rechercherons tout à l’heure les conséquences politiques.

Le discours le plus remarquable qui ait été prononcé dans cette discussion est assurément celui de sir Robert Peel, mais il est en même temps le moins concluant de tous. C’est une habile apologie de l’administration de l’ancien chef des tories, c’est aussi une réfutation animée des parties faibles du discours de M. Disraëli, mais ce n’est pas une réponse aux plaintes légitimes de l’agriculture anglaise. La première partie de ce discours résume la politique commerciale suivie par sir Robert Peel depuis 1842. Cette politique, on le sait, eut pour objet d’abaisser successivement les droits sur toutes les matières premières employées par l’industrie. Sir Robert Peel prouve par des chiffres que la réduction a eu pour effet de développer considérablement les exportations, et il exalte avec abondance les mérites de son système. En cela, il enfonce une porte ouverte ; il avait été secondé dans l’adoption de ces mesures par tout son parti, et M. Disraëli lui a dit avec raison que personne n’avait jamais contesté que la réduction ou la suppression des droits sur les matières premières ne fussent un grand avantage pour l’industrie et une mesure utile.

C’est en 1846 que sir Robert Peel se sépara de son parti en proposant l’abolition des lois sur les céréales. Il se félicite aujourd’hui encore