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hommes de violence et de sophisme qui jettent une doctrine comme un manteau sur leurs mauvaises passions ; mais n’y a-t-il pas en dehors de ces cadres de la révolte une jeunesse nombreuse, sincère, se jetant sur la première nourriture qui se présente, appartenant au premier docteur qui s’offre à elle paré de quelques généreuses apparences ? C’est elle que nous ne devons pas perdre de vue. S’il est vrai que le penchant qui l’entraîne à l’examen et à la critique soit merveilleusement servi par tout ce qui l’entoure ; si la révélation, qui, d’ailleurs, ne paraît pas la toucher toujours, n’est pas chargée de répondre à toutes les questions étrangères à l’ordre religieux ; si les intérêts tout seuls revêtent aisément, aux yeux de jeunes ames enthousiastes, un caractère subalterne, à quelle puissance lui restera-t-il de s’adresser ? Je ne connais pour la jeunesse que deux moyens de s’éclairer : les sciences historiques et économiques, s’il s’agit de faits ; la philosophie, s’il s’agit de principes. On lui dit qu’elle se trompe, qu’elle ne trouvera que ténèbres où elle cherche la lumière. Et de quel droit ? Le XVIIIe siècle, en examinant les fondemens de l’esprit, les bases de la société, s’est souvent arrêté, au doute ; le XIXe, à ses débuts, a trop souvent creusé jusqu’à l’utopie : qui vous dit qu’en sondant plus ayant, il ne peut rencontrer, il n’a pas rencontré déjà les bases solides de l’ordre rationnel et de la vérité morale ? Un peu d’examen éloigne des vrais principes, un examen approfondi y ramène. Si ce mot a pu s’appliquer à la religion, ne peut-il s’appliquer à la société ? Celle-là seule est-elle une œuvre divine ? Celle-ci ne serait-elle qu’une œuvre du hasard ? On donnerait par un tel aveu de terribles armes à ses adversaires !

Non, la pente de l’examen ne se remonte pas. Des fils d’un âge de critique, on ne fera jamais des enfans respectueux ; il faut en prendre son parti. Opposons donc une réflexion plus complète, plus mûre et dès-lors plus judicieuse à une superficielle réflexion. C’est le triomphe du scepticisme de parler de religion sans croire, et d’autorité sans un respect qui ne soit pas de pure politique. Ce n’est qu’à coups de vérité, non par des fictions, même réparées à grands frais d’érudition et d’esprit, que l’on tuera l’erreur. Il n’y a que la bonne philosophie, après tout, qui soit en état d’avoir raison de la mauvaise.

Deux doctrines sont en présence, hostiles, irréconciliables.

L’une est la philosophie morale, désignée le plus souvent sous le nom plus populaire peut-être que scientifique de spiritualisme. Elle a pour principe, comme son nom l’indique, la supériorité de l’esprit sur le corps. À l’esprit, dont elle arbore pour ainsi dire la bannière, appartient comme attribut principal l’activité libre et responsable. Cette liberté veut être exercée. Le mot de la vie est épreuve et non bonheur. Ce n’est pas que cette doctrine adopte et prétende renouveler au XIXe siècle l’ascétisme du moyen-âge et de quelques sectes antiques.