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en droit de conclure que M. Disraëli n’était pas fondé à invoquer comme preuve une année exceptionnelle et une détresse passagère toute son argumentation se trouvait invalidée à la fois.

C’est ce que le ministre de l’intérieur, sir George Grey, ne manqua pas de faire. Il établit à son tour une comparaison entre les six premiers mois de 1848 et les six premiers mois de 1849, et, prenant successivement un certain nombre de villes industrielles, il démontra que le nombre des pauvres secourus avait décru dans une proportion notable, que les dépenses de l’assistance publique avaient diminué, enfin que les dépôts dans quelques caisses d’épargne avaient augmenté en nombre et en valeur. Il en concluait que la dépression éprouvée en 1848 était éphémère, et que l’Angleterre revenait graduellement à sa situation normale.

M. Disraëli n’avait rien à opposer à cette réponse. Il avait également été mal inspiré en voulant se faire un argument de la détresse, momentanée des manufacturiers anglais. Il devait savoir que toute crise industrielle qui est produite par une cause étrangère à l’industrie elle-même, comme une disette, une commotion politique, etc., est inévitablement suivie d’une réaction favorable : la production, en effet, éprouve un temps d’arrêt pendant lequel les approvisionnemens s’épuisent, et les besoins de la consommation viennent bientôt ranimer les ateliers. Après deux ans de chômage, la consommation intérieure eût suffi pour rendre à l’industrie anglaise son activité, à plus forte raison lorsque les révolutions européennes, en paralysant l’industrie de la France et de l’Allemagne, affranchissaient les manufacturiers anglais de toute concurrence dans les marchés des deux mondes. Languissante en 1848, l’industrie anglaise réunissait, en 1849, tous les élémens de prospérité. Aussi M. Disraëli fut-il facilement accablé par sir George Grey et par sir Robert Peel, qui prouvèrent que la consommation du sucre, du café, du tabac, des eaux-de-vie, s’était considérablement augmentée, et qui lurent dans la chambre des communes nombre de lettres de négocians ou de manufacturiers des principales villes d’Angleterre et d’Ecosse, témoignant toutes de l’état florissant de l’industrie. Cette activité des manufactures anglaises s’est soutenue pendant tout le cours de 1849, et ne paraît point encore se ralentir. Néanmoins il est évident qu’à mesure que l’ordre se raffermira sur le continent, et que l’industrie française ou allemande se relèvera de ses ruines, l’industrie anglaise perdra quelques-uns de ses avantages actuels ; mais M. Disraëli, qui s’était fait un argument de la détresse momentanée de 1848, ne pouvait contester à ses adversaires le droit d’invoquer à leur tour la prospérité, peut-être passagère, de 1849. Quant au fait allégué par lui, et prouvé du reste par des témoignages authentiques, que des fabricans auraient dû, faute