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comme aux premiers temps. On pensait qu’il avait bien envoyé à Lucerne, non pas dans la ville, mais bien au quartier-général, pour prévenir le général Dufour et lui conseiller de presser les choses. — Je cite à regret cette supposition. Elle montre l’incertitude qui règne encore sur tout ce qui vient de cette part. Il faut qu’il y ait quelque chose de faux au fond de toute la position prise par la cour de Londres, pour qu’un caractère vrai et généreux comme celui de M. Peel ne puisse cependant y inspirer à personne de sécurité[1].

« Ma correspondance de Berne continue à me parler de l’extrême embarras que M. Peel montre encore ; on l’attribuait au faux jeu que lord Palmerston lui aurait fait jouer ; mais, au fait, ce n’est qu’une supposition, et peut-être, au contraire, M. Temperly a-t-il encore été tenté d’arrêter l’effusion du sang, et de faire une démarche qui aura été repoussée comme toutes les autres démarches de M. Peel. Le seul fait certain est la gêne extrême qui se montre dans toute l’attitude de M. Peel[2]. »

Cependant, si la victoire définitive des radicaux était venue assez à temps pour empêcher que la médiation ne portât ses fruits, la nouvelle de cette victoire n’était pas arrivée assez vite à Londres pour dispenser lord Palmerston de signer la note concertée. La note concertée était pour la politique anglaise tout un changement de système. Par la signature apposée à cette note, lord Palmerston avait adhéré en fait aux principes toujours soutenus par les grandes puissances. Il en était venu à nier positivement le droit que les cantons radicaux s’arrogeaient de pouvoir, en dépit des traités, opprimer leurs confédérés, et substituer, contre l’esprit de la constitution helvétique aussi bien que contre la lettre même des traités, le système unitaire à la forme fédérative ; en un mot, de radical qu’il avait été jusque-là à Berne (pour nous servir d’une expression employée par son agent en Suisse), lord Palmerston était devenu soudainement conservateur. On comprend ce qu’un pareil revirement dut causer de mauvaise humeur à M. Peel, qui avait dernièrement reçu et suivi des instructions tout opposées.

« C’est avec beaucoup de regret, monsieur, que je dois revenir à vous parler de M. Peel. Il paraît que depuis mon départ de Berne il était revenu à ses anciennes amitiés, et qu’il se disposait à prendre possession de la situation, comme s’il avait jusqu’au bout, et sans distinction, soutenu les radicaux. Il avait fait une visite de félicitation à M. Ochsenbein, et il venait de l’inviter avec d’autres vainqueurs à un grand dîner quand il a reçu ma lettre, qui lui annonçait l’entente conclue et la remise que je faisais immédiatement de la note concertée. Il a aussitôt décommandé le dîner, et, M. de Massignac étant venu le soir, il lui a parlé en ces termes :

« Si je pouvais montrer les dépêches de lord Palmerston, on penserait, comme moi, que je ne saurais remettre la note qu’il m’annonce. Je donnerai ma démission plutôt que de le faire. Eh ! le puis-je donc, en effet, quand je viens de faire une visite à M. Ochsenbein dans un sens tout opposé ?

  1. Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, 25 novembre 1847, nu 201.
  2. Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, 28 novembre 1847, n° 207.