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la réforme sociale ou le bouleversement politique par la violence et par le sang étaient-elles donc égarées par la philosophie ? Les ligueurs avaient-ils lu Rousseau ou M. Cousin ? Quant aux logiciens à outrance, qui prétendent identifier la propriété et la famille avec l’orthodoxie rigoureuse du dogme catholique, — à tel point que, celle-ci ébranlée, celles-là s’écroulent, — ils me paraissent courir de terribles chances. Ne risquent-ils pas, en prouvant trop, de susciter à des principes qui passent pour sacrés en eux-mêmes devant l’immense majorité une trop grande foule d’hétérodoxes ? Qu’ils y prennent garde, qu’ils se modèrent ! La politique, autant que la charité, leur conseille de laisser du moins aux gens le bénéfice de l’inconséquence. À qui cela fera-t-il tort ?

Ce que nous disons de l’alliance non-seulement possible, mais nécessaire, de la raison libre, de la science laïque, de la philosophie avec le principe religieux, avec les intérêts sociaux et l’instinct de conservation, autant et plus le dirons-nous de cette alliance avec le principe d’autorité. Comme fait, la nécessité d’une autorité forte est démontrée. Comme principe, elle n’est puissante que par le respect. Or, le respect, comme tout sentiment moral, a ses conditions. Qu’on nous indique donc les moyens de produire le respect à titre de ressort efficace ! Autrement, que signifieraient de vagues appels au principe de l’autorité ? Ne serait-ce pas, à proprement parler, crier dans le désert ? Regretter cet antique respect sert de peu, si on ne parvient à le faire renaître. Évoquer les morts ne suffit pas ; si on veut que le tombeau nous les rende, il faut les ressusciter, ce qui est, on l’avouera, un peu plus difficile. Compte-t-on sur la tradition ? Nous ne demandons pas mieux ; mais, de grace, qu’on nous la montre ! Nos yeux cherchent avec un inquiet désir ces sphères sereines où siège ce principe sacré dans sa perpétuité inviolable. Hélas ! que voyons-nous à la place ? Il nous agréerait peu d’étaler aux regards la robe de César percée de coups, traînée par la main irrévérencieuse des révolutions dans la boue, tache qui use la pourpre plus que le sang des assassinats ou des échafauds ; mais dépend-il de nous, hommes des générations nouvelles, d’avoir vu coup sur coup, sans doute pour tenter notre foi naïve, les pouvoirs s’écroulant après s’être mutuellement décriés, anathématisés, déclarés rétrogrades, anarchiques, ridicules, et proclamés seuls éternels ; pouvoirs de tous genres, de toute origine, de droit divin, de droit naturel, d’origines étrangère, française, héréditaire, élective, aristocratique, bourgeoise, prolétaire ? Défenseurs exclusifs, apologistes intempérans d’un principe qui a des droits peut-être, mais peu de chances à la vénération religieuse qu’il obtint jadis, daignez tourner vos regards vers la terre d’exil, et comptez-y les pouvoirs tombés d’hier, depuis les royales infortunes jusqu’aux tribuns déchus, dictateurs improvisés qui vécurent un jour ! Dites si le temps est favorable au paganisme