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toute tentative de mettre à exécution une telle réforme conduirait à une guerre civile[1]. »

Peu de personnes, après avoir pris connaissance des faits que nous venons de rappeler et des pièces que nous avons citées, seront sans doute tentées de contester le droit qu’avaient les puissances signataires des traités de 1815 de prendre en très sérieuse considération l’état des choses tel qu’il se présentait en Suisse au commencement du printemps de 1847. Jamais évidemment le pacte fédéral n’avait été sous le coup d’une attaque plus directe, jamais le parti exalté n’avait laissé apercevoir plus à découvert son dessein favori, rarement avoué, toujours obstinément poursuivi, d’arriver au système unitaire d’une façon subreptice par la formation en diète d’une majorité radicale qui imposerait ses décisions absolues aux cantons réduits vis-à-vis d’elle à un rôle tout-à-fait inférieur et subordonné. Jamais les grandes puissances européennes n’avaient eu plus d’intérêt à chercher en commun les moyens de parer aux éventualités qui menaçaient l’avenir de la Suisse. Cependant elles ne réussirent pas de si tôt à se mettre d’accord.

Préciser exactement les lignes de conduite diverses suivies en cette occasion par les cabinets de France, d’Autriche et d’Angleterre, mettre au-dessus de toute contestation la part de responsabilité individuelle qui revient à chacun d’eux, montrer pourquoi a été si long-temps différée, et par la faute de qui a définitivement échoué une médiation qui pouvait seule épargner à la Suisse les horreurs de la guerre civile, et au monde entier ce premier et si contagieux exemple de la victoire brutale des masses contre le petit nombre, du triomphe inique de la force sur le droit, telle est la tâche qui nous reste à remplir. Nous procéderons d’ailleurs comme nous avons fait jusqu’à présent, en prenant soin d’appuyer notre récit sur des documens nouveaux pour la plupart, dont le nombre et l’authenticité suffiront, nous l’espérons, à établir l’exactitude de nos assertions.

La politique de la France en Suisse a été avant tout une politique de sagesse et de désintéressement. Dans ses rapports avec le corps helvétique, le gouvernement de 1830 ne s’est point attaché à la poursuite de ses intérêts particuliers. La cause qu’il a dès l’origine adoptée, celle que le ministère du 29 octobre a jusqu’au dernier moment soutenue de tous ses efforts, c’est la même cause que la diplomatie française a eu mission de patroner dans tous les états secondaires, la cause de la liberté paisible et régulière, d’une liberté décidée à résister également aux fantaisies d’un pouvoir capricieux et aux entraînemens d’une brutale anarchie. Les ressorts employés ont varié avec les temps ;

  1. Lord Palmerston à M. Percy, Foreign-Office, 9 juin 1832.