Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seraient de bien peu d’efficacité, si sa constitution politique n’était sagement appropriée au rôle que la nature même des choses semble lui avoir destiné. Pour maintenir en tout temps entre ses redoutables voisins une complète impartialité, pour n’être pas malgré elle entraînée dans, leur sphère d’action, il est essentiel que la Suisse demeure ce qu’elle a toujours été, c’est-à-dire une confédération d’états souverains, indépendans, ou du moins presque indépendans les uns des autres, et qu’elle ne devienne pas, je ne dirai pas une république une, indivisible, comme la république française, mais seulement une république fédérative organisée à la façon des États-Unis d’Amérique. Des considérations aussi simples ne pouvaient échapper, en 1815, ni aux ministres plénipotentiaires des cabinets réunis au congrès à Vienne, ni aux Suisses eux-mêmes. Ce fut avec vingt-deux cantons souverains placés vis-à-vis les uns des autres sur le pied d’états associés, jouissant les uns envers les autres de la plus complète indépendance, que traitèrent les puissances, et non pas avec les représentans d’un pouvoir unique et central gouvernant vingt-deux parties dépendantes et subordonnées d’un même état. La Suisse, ainsi fractionnée en vingt-deux états isolés les uns des autres, trop différens d’origine, de religion, de langage et de mœurs pour s’abandonner à de communs entraînemens, séparément trop faibles pour concevoir des vues ambitieuses et des projets d’agrandissement, avait reçu des représentans des grandes puissances de l’Europe au congrès de Vienne des avantages qu’à coup sûr ils n’auraient jamais songé à conférer à un pays autrement constitué. Ces avantages ne furent pas de peu d’importance ; ils consistèrent dans la restitution de plusieurs territoires, autrefois enlevés à la confédération helvétique, dans la cession de certaines enclaves qui reliaient plus commodément entre eux les cantons confédérés, enfin dans la garantie d’une neutralité perpétuelle et d’une absolue inviolabilité de territoire. Que ces avantages aient été expressément concédés, non pas gratuitement, mais aux conditions que nous venons d’indiquer, ce n’est pas le bon sens seulement qui le dit, ce sont les termes mêmes des actes du congrès de Vienne qui l’énoncent clairement. Voici les expressions employées par le comité qui statua à cette époque sur les affaires de la Suisse

« Les puissances alliées se sont engagées à reconnaître et à faire reconnaître, à l’époque de la pacification générale, la neutralité perpétuelle du corps helvétique, à lui restituer les pays qui lui furent enlevés, à renforcer même, par des arrondissemens territoriaux, la ligne de défense militaire de cet état ; mais elles ne considèrent ces engagemens comme obligatoires qu’autant que la Suisse, en compensation des avantages qui lui sont réservés, offrirait à l’Europe, tant par ses institutions cantonales que par la nature de son système fédératif, une garantie suffisante de l’aptitude de la nouvelle confédération à maintenir la tranquillité