Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la diète de faire respecter les garanties stipulées amenèrent, de la part des cantons catholiques, une énergique protestation. Pour répondre à une menace qu’il considérait comme une déclaration de guerre jetée à la religion romaine, Lucerne appela chez lui les jésuites. Le résultat de cette détermination fut de remplacer la querelle des couvens par la querelle des jésuites. Si le parti radical s’était borné à soutenir que Lucerne, canton directeur, c’est-à-dire dont le gouvernement particulier devenait, à des époques déterminées par la constitution, le gouvernement central de la Suisse entière, devait s’abstenir, en sa qualité de représentant d’une fédération d’états dont un grand nombre était protestant, de recevoir chez lui et de reconnaître officiellement un ordre religieux institué surtout pour combattre les doctrines de la religion réformée, cette question eût pu diviser en Suisse comme ailleurs les meilleurs esprits ; mais les exaltés du parti démagogique procédèrent tout autrement. Sans se soucier d’attendre les décisions de la diète, ou plutôt assurés de ne pouvoir tout d’abord compter sur une majorité favorable à leurs desseins, fidèles à leurs habitudes querelleuses et tyranniques, ils résolurent non pas d’agir par des voies souterraines, comme ils l’avaient fait dans des cantons mieux préparés à accepter leurs doctrines, mais de procéder à force ouverte et les armes à la main contre Lucerne. Alors se présenta le plus désolant spectacle. À la stupéfaction et à la honte de la civilisation européenne, on vit en Suisse, au milieu de la paix la plus profonde, non pas seulement la guerre civile éclater entre des états confédérés, mais une expédition de huit mille condottieri se former dans quelques cantons, sous les yeux même des autorités locales, préparer librement tous leurs moyens d’attaque, et se jeter enfin, avec douze pièces de canon, sur un canton qui vivait officiellement en bonne intelligence avec le reste du pays. Dieu nous garde, en déplorant le fatal aveuglement des partis qui déchiraient alors la Suisse, de paraître, même un instant, viser à cette fausse et lâche impartialité trop commune de nos jours, et qui consiste à ne point tenir compte du droit, à se soucier très peu de la justice, à faire la part égale entre des torts très inégaux ! Hâtons-nous donc de le dire, si l’appel des jésuites à Lucerne fut un acte imprudent et impolitique, l’expédition des corps francs contre Lucerne fut, à coup sûr, un acte inique. M. Ochsenbein et les démagogues de bonne volonté qu’il avait recrutés au sein des clubs violaient toutes les lois quand ils envahissaient à main armée les petits cantons. Les petits cantons étaient mille fois dans leurs droits quand ils chassèrent à coups de fusil M. Ochsenbein et les gens de sa troupe.