Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’opinion factices, propres à faire donner à chaque envoyé près l’assemblée fédérale des instructions conformes aux vues du parti, ils ne manquaient point d’organiser, dans la ville où siégeait la diète, quelques réunions politiques reliées par des communications régulières avec toutes les affiliations démagogiques qui couvraient le reste du territoire ; ils avaient soin de réchauffer la polémique des organes ordinaires de leurs opinions, et, par cette double pression de leurs clubs et de leurs journaux, ils réussissaient le plus souvent à donner aux communications du pouvoir fédéral avec les grandes puissances du continent un ton d’insulte et de défi propre à jeter la Suisse dans les plus fâcheuses complications.

Un tel système de violence et d’intimidation n’avait déjà fait que trop de ravages en Suisse avant 1847. Cependant, là où le succès lui avait fait défaut, la répulsion qu’il avait inspirée avait produit un effet tout contraire et poussé les masses vers des sentimens entièrement opposés. Le mouvement radical, rationaliste et parfois ouvertement irréligieux avait, sur beaucoup de points, réveillé un esprit religieux très ardent. Dans les petits cantons, à Lucerne, canton directeur, à Fribourg et dans le Haut-Valais, c’étaient les populations entières qui, troublées dans leur ancien respect pour la foi de leurs pères, inquiétées pour leur antique indépendance, rompaient violemment avec les doctrines dominantes, et opposaient aux passions révolutionnaires, aux tendances sceptiques des cantons dont ils étaient entourés, un amour obstiné du passé, une foi plus ferme peut-être et plus sincère que tolérante et éclairée. Entre des états liés entre eux, quant aux affaires générales de la commune patrie, par un nœud fédéral assez faible, parfaitement indépendans les uns des autres en ce qui regarde leur gouvernement intérieur, et, sur leur territoire respectif, demeurés souverains dans la pleine acception du mot, les sujets de collision ne pouvaient manquer d’être graves et nombreux.

En 1841, une révolution radicale de la nature de celles dont nous avons cherché à expliquer le vrai caractère, les mobiles ordinaires et le but, appela au pouvoir dans le canton d’Argovie (canton mixte où les deux religions catholique et protestante sont en présence et en force à peu près égale) les hommes du parti démagogique. Ils n’y furent pas plus tôt installés, qu’accusant les moines des couvens d’Argovie d’avoir excité des troubles dans le canton (accusations qu’ils ne purent parvenir à prouver devant leurs propres tribunaux), ils prononcèrent, par simple arrêté cantonal, la suppression des établissemens religieux dont l’existence avait été spécialement garantie par l’article 12 du pacte fédéral[1]. La suppression violente des couvens d’Argovie et le refus

  1. Cet article est ainsi conçu : « L’existence des chapitres et couvens, la conservation de leurs propriétés, en tant que cela dépend du gouvernement du canton, sont garanties. Ces biens sont sujets aux impôts et aux contributions. (Art. 12 du pacte fédéral.) »