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LA BAVOLETTE.

— Vous savez apparemment, s’écria maître Labrosse, qui était ce magistrat ? Le président de Chevry, puisque vous le connaissez, donnait beaucoup aux femmes. Elles lui ont coûté les yeux de> la tête, et il ne méprisait point les bavolet tes ; mais ce n’était pas à elles qu’il offrait des bijoux de cette valeur. Il faut donc qu’on lui ait volé ce bracelet.

— Qu’est-ce que toutes ces horreurs ? interrompit Claudine.

— Je vais vous l’apprendre, répondit l’orfèvre, car j’entrevois enfin la vérité. Vous étiez enfant quand M. de Chevry a perdu ce bracelet ; mais votre mère que voici, et qui pâlit en m’écoutant, sait bien comment ce bijou est venu entre ses mains. Le président est mort, et l’on s’imagine aujourd’hui pouvoir dissimuler le larcin. Me prenez-vous pour un sot, avec votre fable de la dame mystérieuse ? Attendez un moment ; je vous ferai connaître tout à l’heure qu’on ne se joue point de moi.

Maître Labrosse appela son premier commis et lui dit quelques mots à l’oreille. Le commis partit en courant et revint bientôt, accompagné de trois exempts de police et d’un homme vêtu de noir. Aux questions qu’on leur adressa, les deux paysannes comprirent qu’elles avaient affaire à la justice. Toute dénuée d’apparence qu’était son histoire de la dame mystérieuse, Claudine la répéta devant le commissaire avec un air d’innocence et de sincérité qui l’aurait peut-être sauvée, si sa mère ne se fût mise à pleurer et jeter les hauts cris. Le trouble de Simonne passa pour un indice suspect. Les réponses imprudentes et mensongères qu’elle fit par frayeur achevèrent de la perdre. Le commissaire donna l’ordre aux exempts d’emmener ces deux femmes.

— Où nous conduisez-vous ? demanda Claudine.

— En prison, répondit un exempt.

Des passans s’étaient assemblés devant la boutique de maître Labrosse, ayant ouï dire qu’on y avait arrêté deux femmes. Une troupe de polissons s’apprêtait à suivre ces voleuses, que la rumeur accusait déjà de toutes sortes de crimes. Un gentilhomme demanda ce que c’était et s’approcha des exempts. Claudine reconnut M. de Bue et courut à lui.

— Monsieur, lui dit-elle, ne vous rappelez-vous point qu’à SaintMandé vous êtes tombé de cheval, il y a cinq ans, et que j’eus l’honneur de vous servir un verre d’eau ?

—Je me le rappelle en effet, répondit M. de Bue. Vous êtes cette gentille bavolet te que M. le prince prit sous sa protection pour lui avoir rendu fidèlement la moitié d’un louis d’or.

— Précisément. De grâce, monsieur, venez à mon aide, et ne me laissez point accuser d’un vol dont je suis incapable.

Le commissaire consentit à rentrer dans la boutique pour procéder à de plus amples informations. Le gentilhomme témoigna de la vérité