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mère de l’aller vend re chez maître Cambrai, orfèvre au Pont-au-Change. Cela vaut quelque argent.

— Madame, répondit Claudine, je garderai plutôt ce bijou comme un souvenir de vos bontés. Il me portera bonheur.

— Non, mon enfant, vendez-le. C’est la vertu qui porte bonheur, et je sais que Dieu vous a donné ce trésor-là. Continuez à vivre honnêtement.

— Au moins, reprit Claudine étonnée du ton singulier de la dame, vous plaît-il me dire à qui je dois un si riche présent ?

— Quel besoin avez-vous de savoir mon nom ? Je préfère que vous l’ignoriez. Regardez-moi bien seulement, et, si vous tombiez dans quelque détresse, venez me chercher sous ces arbres. Si je ne meurs pas avant cela, vous me trouverez ici. Mettez le bracelet dans votre poche, et ne parlez de ceci à personne.

L’air mystérieux, la beauté de la dame, sa magnifique parure et sa générosité produisirent sur l’esprit de Claudine une vive impression. Elle obéit au commandement de l’inconnue, lui fit une révérence et s’éloigna, persuadée qu’elle avait eu commerce avec une princesse.

Pour terminer dignement la partie de plaisir, Mme de Boutteville emmena chez elle les enfans, écoliers et jeunes filles, qui voulurent accompagner Claudine. On leur servit un cadeau, comme on appelait alors une collation, et le héros de Rocroi en daigna manger sa part. Quand la nuit vint, la bande se dispersa. Claudine reprit ses habits de paysanne, et redevint bavolet te. On lui donna tout ce qu’elle put porter de fruits et de friandises. Elle glissa furtivement le bracelet de perles fines dans la pochette de son jupon. Le duc d’Eughien, la voyant chargée des restes du cadeau, dit à M’"" de Boutteville :

— Vous me l’avez gâtée, ma cousine. Cette petite fille va s’imaginer que, pour avoir été honnête une fois en sa vie, on mérite toutes sortes de chères et d’honneurs. Encore une bonne action, et quel sera son étonnement de ne point se voir appelée à la cour !

Claudine, entendant cela, rougit jusqu’aux oreilles.

— Monsieur le duc, dit-elle avec vivacité, me croyez-vous donc une ingrate ? Comment ai-je eu le malheur de vous donner une si méchante opinion de moi ? Je n’avais fait que mon devoir, et je le ferai encore à l’avenir, sans souhaiter d’autre récompense que le souvenir de vos bontés.

— Ma foi, j’en tiens, s’écria le prince. Cette petite en sait plus long que moi. Adieu, ma mie ; je vois bien que mes conseils sont inutiles. C’est moi qui t’en demanderai, s’il arrive que mes yeux ne distinguent pas clairement le chemin de l’honneur. Va, n’oublie point que nous sommes une paire d’amis tous deux.