finesse. Le prince s’est moqué de moi, et je perds sa protection, que je pensais conquérir. »
Le duc d’Enghien, enchanté de sa mystification, ne manqua point de l’aller raconter aux promeneurs. Il se donna aussi le passe-temps de railler M. de Candale sur sa prétention de tout connaître, en sorte qu’au bout d’un moment on ne parlait que des deux jeunes filles et de leur travestissement. Les uns s’avisèrent tout à coup de la gentillesse de M’e de Boutteville sous son bonnet de toile bise, les autres admiraient le bon air de la paysanne. Claudine se vit encore fêtée par une foule de dames et de seigneurs inconnus, et puis, l’engouement et la curiosité s’éteignant, on ne fit plus attention à elle. Thomas Des Riviez, qui la guettait de loin, vint l’aborder.
— Mademoiselle, lui dit-il, vous me feriez une injustice, si vous pensiez que je vous ai recherchée pour vos beaux habits. Je vous aimerais autant bavolet te que grande dame. Vous m’avez accepté pour serviteur avec l’approbation de mon père et celle de M. le duc ; je le suis sérieusement. Je m’y engage de nouveau, et je vous demande un peu d’amitié en échange de mon dévouement et de mon respect.
— Vous savez qui je suis ? dit Claudine.
— Je le sais, et je ne changerai point de sentiment lorsque vous changerez de robe. Vous êtes la plus jolie et la plus aimable fille que j’aie rencontrée. Je veux être votre fiancé, s’il est possible, et vous épouser quand vous serez plus grande et que j’aurai gagné mes éperons à l’armée. Si la proposition vous convient, donnez-moi la main en gage de votre foi.
— De tout mon cœur, répondit Claudine. Recevez ma parole : nous serons mari et femme, et, en vous attendant, je prierai Dieu qu’il vous protège à la guerre.
Thomas Des Riviez pressa la main de la jeune fille d’un air solennel et s’enfuit en courant. À quelques pas de là était assise sous les arbres une dame d’une beauté incomparable. Sur ses habits, on ne lui voyait des pieds à la tête que des dentelles et des perles. Cette dame fit signe à Claudine d’approcher, et lui dit d’une voix douce et harmonieuse comme le gazouillement d’une fauvette :
— Mon enfant, ces gens-là vont faire de vous la fille la plus malheureuse du monde. Ils s’amusent de vous comme d’un jouet. Ils vous régaleront de crèmes et de fruits, et n’oublieront qu’une chose, de vous donner le nécessaire pour retourner avec moins de peine dans votre maison. Demain, M. le duc ira au camp, MTM" de Boutteville à son château, ses enfans à d’autres jeux, et vous retomberez dans votre village, où vous retrouverez votre pauvreté plus amère qu’auparavant. Je n’ai point ma bourse sur moi. Prenez ce bracelet. Vous direz à votre