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LA BAVOLETTE.

de beaux discours sur la vengeance, sur la piété filiale ou sur quelque autre sujet, et, comme ces conversations méditées n’offraient point de rapprochement avec Claudine, on l’oublia.

Il faut savoir que M. le duc avait épousé, deux ans auparavant, M’e de Brézé, nièce du feu cardinal ministre, et si jeune qu’elle jouait encore à la poupée. Chez cette princesse venaient beaucoup d’enfans et de jeunes filles, entre autres M"* de Boutteville, fille du fameux batailleur, et qui fut plus tard Uae de Chàtillon, l’une des plus aimables personnes de son siècle. Elle avait alors seize ans approchant. M.m’ la princesse étant Montmorency, de même que les Boutteville, tous ces enfans étaient cousins et cousines par alliance ou autrement. Un jour, le duc d’Enghien, en rentrant chez lui, surprit ce petit monde jouant à des jeux innocens. Il se mit de la partie, et, comme il y prenait plaisir, il s’avisa de dire en riant que les beaux esprits de l’hôtel Bambouillet, avec leurs raffinemens, l’avaient moins diverti que la main-chaude et le colin-maillard. Il en vint naturellement à raconter sa visite dans le salon d’Arthénice et l’aventure qui avait fourni matière aux discours de ces dames. M’e de Boutteville, qui avait autant de cœur que d’esprit, se prit incontinent d’une belle passion pour Claudine ; au lieu de se borner, comme les précieuses, à de vaines suppositions, elle voulut voir l’héroïne de l’historiette. Elle importuna M"" de Boutteville avec l’ardeur de son âge, jusqu’à ce qu’on eût envoyé une femme de chambre chercher la petite paysanne au village de SaintMandé. C’est ainsi que Claudine lit son entrée dans ce grand monde.

Les promesses de la femme de chambre à dame Simonne ne manquèrent point de se vérifier. On caressa fort Claudine ; on admira son air naïf, sa bonne mine, ses yeux intelligens, et par-dessus tout son bavolet de toile bise, qui lui allait à merveille. M"" de Boutteville se sentit une furieuse envie de se coiffer de ce bavolet. Quand elle l’eut sur sa tète, elle voulut aussi essayer la robe de laine, la gorgerette de fil rouge, et puis les bas bleus et jusqu’aux souliers à lacets. L’idée vint ensuite à la duchesse d’Enghien d’habiller la petite paysanne en fille de qualité. Pour cela, on fouilla dans les armoires. Parmi ses robes de l’an passé, M"" la duchesse en trouva une en soie de Naples et presque neuve. Claudine, grande et précoce comme elle était, se trouva de taille à mettre les habits d’une personne plus âgée qu’elle, grâce à la science des habilleuses et aux épingles dont elle fut bardée. On lui accommoda les cheveux au goût du jour ; on la couvrit de rubans ; on lui prêta des souliers de satin, et, quand elle eut le bras nu jusqu’au coude, les doigts enfermés dans des mitaines et l’éventail à la main, on s’aperçut que sa beauté n’avait point de rivale.

— Gageons, dit Mme de Boutteville à sa fille, que vous n’oseriez point aller en public sous ce costume de bavolet te. Vous y seriez éclipsée,