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LA BAVOLETTE.

comprendre à maître Simon que, si elle ne payait l’impôt, les gens du roi lui vendraient ses meubles. Pour avoir la paix, le mari consentit à changer le louis d’or. Il donna douze livres à sa femme et s’empara du reste en déclarant qu’il n’en lâcherait pas une obole. À ces mots, la petite Claudine fondit en larmes et se jeta aux genoux de son père.

— Au nom de la sainte Vierge, lui dit-elle, laissez-moi cet argent qui ne m’appartient pas. J’ai promis de le remettre fidèlement au seigneur de ce matin. Le retenir serait un vol et un péché. Voulez-vous déshonorer votre fille et vous-même ?

— Tu es une sotte, répondit le père. Crois-tu que ce prince attende après douze livres ? En te commandant de lui remettre la moitié de son louis, il a fait une plaisanterie, et, si tu t’avisais de lui porter son argent, ses gentilshommes et lui se moqueraient de toi. Qu’on ne m’en parle plus ; je garde les douze livres ; c’est une affaire qui n’incommodera point ma conscience.

Claudine voulut insister, mais le père lui ordonna de se taire et se jeta sur son lit. où il s’endormit du lourd sommeil des ivrognes. La petite fille ne ferma point les yeux de toute la nuit. Il lui semblait qu’elle mourrait de honte, si le jeune seigneur venait à passer sans la trouver au bord du chemin. Pour soulager son cœur, elle résolut de consulter son curé. Elle se leva doucement au point du jour, sortit de la maison sans réveiller ses parens, et courut tout émue au presbytère. Le curé prit d’abord la chose en riant. Il ne parut point comprendre la gravité des scrupules de l’enfant, et commença par dire qu’il n’y avait point d’apparence qu’un prince voulût marchander son aumône, à quoi Claudine répondit avec vivacité qu’il ne lui appartenait pas de juger si le prince avait ou non parlé sérieusement, que ce prince n’avait donné que la moitié du louis d’or, qu’elle s’était engagée à lui remettre le surplus, et qu’elle lui devait tenir parole. Le curé, entendant cela, devint confus. Il posa sa main sur les cheveux blonds de Claudine en murmurant tout bas :

— Mon Dieu, disait-il, depuis trente ans j’étudie votre loi, et je la trouve gravée plus avant dans le cœur d’un enfant que dans le mien.

Le bonhomme prit ensuite sa canne et son chapeau et se rendit au logis de maître Simon. Tandis que sa femme travaillait à l’étable, l’ivrogne ronflait encore. Au bruit que fit le curé, il ouvrit des yeux hébétés en demandant ce qu’on lui voulait.

— Je viens, lui répondit le vieillard, pour vous empêcher de commettre une méchante action.

Maître Simon eut quelque peine à se rappeler l’aventure de la veille ; mais, si les fumées du vin avaient embrouillé ses souvenirs, l’engourdissement du réveil, la faiblesse qui suit un excès et l’embarras de sa langue ne lui laissèrent point de défense contre les argumens de son Tome v. 28