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des jeunes manolas pour tout amour de contrebande, je dois dire que le couteau du manolo y contribue aussi un peu. Plus d’une en porte fièrement la marque :

… Y que tiene un no sé que
En aquella cecatriz
Que lleva junto a la gola.

« Et elle a je ne sais quel charme - dans cette cicatrice - qu’elle porte au bord de la collerette. »


Malgré ce penchant naturel des manolos pour l’emploi du couteau, les crimes et délits contre les personnes, qui, dans le reste de l’Espagne, représentent les deux tiers environ de la criminalité totale, sont moins nombreux à Madrid que les crimes et délits contre les propriétés. Bien plus, la proportion des accusations d’homicide et de blessures est moins forte à Madrid (1 sur 667 habitans) que dans l’ensemble de son ressort judiciaire (1 sur 556 habitans). Sur la totalité des crimes et des délits, la proportion est encore plus honorable pour les manolos. Les quartiers essentiellement plébéiens de Lavapiés, des Maravillas et des Vistillas ne présentent qu’un accusé pour 293 habitans, tandis qu’au foyer même de la civilisation madrilègne, dans les quartiers du Barquillo, du. Rio et du Prado, chaque accusé correspond à 150 habitans seulement. Ces chiffres désespèrent M. Madoz, qui se donne des peines inimaginables pour les infirmer et établir qu’on ne saurait s’en prévaloir contre l’influence moralisatrice de l’instruction. Pour notre part, nous donnerions tout à la fois raison aux conclusions de M. Madoz et à ses chiffres. Que l’instruction, par cela même qu’elle développe les facultés mentales, puisse, dans certains cas, surexciter les mauvaises passions, cela n’est pas douteux ; mais elle surexcite d’une façon plus directe encore les bonnes, et, comme il y a en somme plus d’honnêtes gens que de coquins, ou, ce qui revient au même, plus d’intérêt à rester dans la probité qu’à en sortir, la somme du bien qui résulte de l’instruction s’accroîtra toujours dans une proportion beaucoup plus forte que la somme du mal. Parce qu’il y a des enragés qui mordent, faudrait-il arracher à l’humanité ses dents ? Je sais bien que si l’Europe, à l’heure qu’il est, pouvait tout à coup désapprendre à lire, certaine doctrine qui, pour n’être pas prévue par le code, n’en est pas moins très malhonnête ne ferait pas de si rapides progrès ; mais on avouera que, si cette doctrine envahissait des populations complètement ignorantes, le plus sûr moyen d’arrêter le mal, après tout, serait de leur enseigner à lire. L’inoculation peut donner la fièvre, ce n’en est pas moins le meilleur préservatif de l’épidémie. J’en dirais autant des inconvéniens accidentels qu’entraîne la diffusion illimitée de l’enseignement secondaire. Il n’est pas douteux que, s’il y