d’amiguito. L’ito est, chez nos voisins, le Rubicon du sentiment, et tel qui, se méprenant à ce feu roulant d’agaceries qui donne un charme si terrible à la conversation écrite ou parlée des. Espagnoles, espère chaque jour le franchir, est fort exposé, dit-on, à se morfondre indéfiniment sur l’autre rive. Une Madrilègne n’a pas sa pareille, fût-ce au « pays de Jésus[1], » dans cette scabreuse gymnastique, qui est l’esprit des femmes au-delà des Pyrénées.
On devine qu’avec de pareils élémens de sociabilité Madrid doit personnifier assez mal l’austérité castillanne, et en effet on y mène la vie assez grand train. Outre ses courses de taureaux, qui se renouvellent presque sans interruption chaque semaine, Madrid a sept théâtres, ce qui, toute proportion de population gardée, est l’équivalent d’environ quarante théâtres à Paris. Le carnaval y dure en outre deux fois plus qu’à Paris. Du milieu de l’automne au commencement du printemps, tout jeune Madrilègne croirait se compromettre en paraissant au bal sans un nez de carton. Les bals masqués manquent du reste, en Espagne, d’animation et de piquant ; que reste-t-il à dire sous le masque quand on a pu presque tout se dire à visage découvert ? Les mots me conoces ? — te conozco[2], répétés par mille voix dans cet odieux gloussement qui est le diapason obligé du lieu, y sont à peu près tout le fond de l’intrigue. Un seul détail, véritable invention de fille d’Ève, relève d’un certain haut goût la fade monotonie de ces bals. Par un artifice de coquetterie que n’admettraient pas nos mœurs, mais qui n’a rien de choquant en Espagne, où la plus dévote compte volontiers ses amoureux sur les grains de son rosaire, la plupart des danseuses s’y montrent déguisées en nonnes. Avec les plaisirs bruyans qu’appelle toute métropole, Madrid cumule les distractions plus patriarcales qui sont le lot de la vie de province. Les foires, les pèlerinages, les fêtes patronales, sont pour la jeune population madrilègne des rendez-vous obligés. Il s’y fait grande consommation de bonbons et de soupirs. La veille du jour de l’an fait surtout époque dans les coeurs. Ce jour-là, on jette séparément dans deux urnes les noms des soupirans des deux sexes, puis on tire au hasard, un à un, les bulletins de chaque urne, de façon à toujours faire coïncider avec un nom masculin un nom féminin, et chacun des joueurs est proclamé pour toute une année l’adorateur officiel de la señora qui lui est échue à cette loterie. On recommence la veille des rois. Le hasard accouple quelquefois les mêmes noms, et, pour si peu que le candidat deux fois favorisé se connaisse en complimens et en sucreries, il est fort rare que cette plaisanterie ne finisse pas en ito. Revenons à la statistique.