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trouvait d’avance cernée et paralysée, tandis que celle-là, au milieu de sa capitale fidèle, a toujours pu garder la liberté de ses mouvemens.

Ce n’est, du reste, qu’à la maison de Bourbon que Madrid a voué sa prédilection monarchique. Les Madrilègnes, qui, avant l’érection de leur ville en capitale, s’étaient trouvés associés à la défaite des comuneros de Castille, tinrent toujours rigueur à la maison d’Autriche. Entretenue par l’horrible misère qu’avaient léguée les guerres de Charles-Quint et de Philippe II, surexcitée à deux reprises par l’impopularité du duc d’Olivarès et du père Nithard, cette opposition avait en outre un dangereux aliment dans les intrigues d’une partie de la grandesse, qu’un vieux levain d’indiscipline féodale soulevait de temps à autre contre le pouvoir royal. En 1620, les ducs d’Osuna et d’Uceda encourent, l’un la prison, l’autre l’exil. En 1621, le comte de la Oliva meurt dans un cachot. En 1648, deux Silva et deux Padilla conspirent contre la vie du roi. Un peu plus tard, le marquis de Liche est convaincu d’avoir introduit plusieurs barils de poudre dans le théâtre du Buen-Retiro pour faire sauter le roi. Une hostilité qui se traduisait par des faits pareils devait avoir de menaçans échos dans la population, à une époque où chaque grand d’Espagne disposait à Madrid d’une armée de cliens et de valets. Les scandales de la cour offraient d’autres prétextes à l’esprit de sédition, car l’austérité gourmée de la grande époque de Philippe II avait peu à peu fait place à des mœurs assez décolletées. C’était par anticipation notre histoire : après le grand siècle, le siècle de Louis XV. Le Louis XV espagnol, c’est Philippe IV, « roi débraillé et libertin » (rey.majo y libertino), comme l’appelle Marchena ; très dévot au demeurant, voire un peu cruel, mais passant volontiers de la dame d’honneur à la danseuse, à ce qu’assure le révérend père Florez, qui lui donne jusqu’à huit bâtards de différens lits, et épiçant au besoin de sacrilège ses royales amours, témoin certaine scandaleuse aventure avec une bénédictine. La cour se modelait naturellement sur le roi. D’après des mémoires contemporains, les dames de la reine vivaient tout bonnement en lorettes, « recevant de leurs amans joyaux, habits et sommes considérables. » Lisez aussi le poète Argensola : « C’est ici cour plénière de tous les vices… jeu, mensonge, gourmandise et adultère, brutale lignée de l’oisiveté, et pires encore, tels qu’en vit Rome au temps de Tibère et de ses horribles successeurs ; les nuits de Caligula et de Néron sont par nos déportemens effacées. » Lisez surtout Quevedo, le grand, l’étrange satirique espagnol, qui laisse si souvent pressentir, sous le rire éclatant de Rabelais, le sanglot intérieur de Molière. « Tu salues, dit Quevedo à son ennemi, le tout-puissant Olivarès, tu salues avec plaisir les donzelles ; par toi prévalent les catins, par toi parviennent les truands, et tels montent par toi l’échelle des honneurs qui ne devraient monter que l’échelle des potences,