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chaudes d’insurrection, et par la prépondérance relative des employés et des solliciteurs, élément passif par excellence, n’abandonnant jamais qu’à bon escient le parti sur lequel il a hypothéqué ses positions et ses espérances, mais d’autant plus empressé, celui-ci tombé, à porter son dévouement banal aux nouveaux venus. Fractionnée qu’elle est en une vingtaine de classes bien distinctes, la population madrilègne proprement dite, malgré sa supériorité numérique, et quelles que fussent ses sympathies ou ses antipathies pour les partis qui se succédaient au pouvoir, était forcément entraînée par l’invisible ascendant de ces quinze mille conspirateurs occultes qui, sans avoir besoin de se donner le mot, apportaient dans la résistance comme dans le mouvement l’unité et la simultanéité d’action d’un intérêt commun. De là aussi cette apparente animation politique qui donnait à Madrid une physionomie si révolutionnaire et contrastait si plaisamment avec sa condescendance moutonnière pour tous les pronunciamientos du dehors. Ces sinistres agitateurs à la mine sombre, au regard investigateur, aux colloques mystérieux, qui, à chaque symptôme de crise, se postaient par milliers au carrefour central de Madrid, ces terribles habitués de la Puerta del Sol enfin, dont chaque froncement de sourcil faisait tressaillir les bourses de Paris et de Londres, étaient pour la plupart de malheureux solliciteurs ou de plus malheureux retraités, se communiquant à voix basse leurs faméliques inquiétudes et guettant patiemment, par le soleil et par la bise, l’apparition du supplément de journal qui devait leur apprendre à quelle puissance du lendemain irait s’adresser leur centième placet.

Madrid n’a eu dans le cours de son histoire qu’un jour de véritable initiative, le 2 mai 1808, quand partit de la place du palais, aux premiers indices du complot de Bayonne, ce formidable cri d’insurrection qui devait faire le tour de la Péninsule. Les Madrilègnes venaient de découvrir qu’il s’agissait, cette fois, de l’existence même du trône, et c’est le seul point sur lequel leur politique, d’ailleurs si accommodante, ne saurait transiger. Madrid comprend instinctivement qu’il n’a qu’une vie factice, et que la présence de la cour, les étrangers qu’elle appelle, le luxe qu’elle fomente, peuvent seuls remplacer pour lui les élémens de prospérité dont le déshérite sa position. Le sentiment monarchique, qui tendit constamment chez nous à se réfugier vers les extrémités, a ainsi chez nos voisins sa plus forte raison d’être au centre. N’est-ce pas là ce qui explique en partie comment la royauté espagnole a si énergiquement résisté aux mêmes secousses qui, trois fois, ont renversé la royauté française ? Siégeant au foyer même des révolutions, celle-ci se