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ni industriel. À part deux ou trois domaines royaux, les cultures comprises dans son ressort municipal ne représentent qu’un revenu inférieur à 150,000 francs. Et ce n’est pas faute d’espace : une immense ceinture de terrains vagues, où n’apparaissent souvent ni une maison ni un clocher, entoure Madrid à perte de vue. Cet abandon des travaux agricoles s’explique par l’importance exceptionnelle donnée de temps immémorial dans les Castilles au pâturage. Au XVIe siècle, la Castille-Nouvelle possédait à elle seule plus de six millions de mérinos, sans compter les autres variétés ou espèces de troupeaux, et la mesta, partout où elle a apparu, a fait le désert. Quand la translation de la cour à Madrid, sous Philippe II, et l’affluence subite de population qui en résulta vinrent offrir aux habitans un meilleur emploi de leur sol, les immenses forêts vierges qui entouraient la ville au moyen-âge, et qui l’avaient fait surnommer la Osaria (la ville aux ours), étaient incendiées ou rasées. Les cours d’eau avaient disparu et avec eux les principes fertilisans du terroir, qui n’était plus désormais qu’une énorme tache de sable entre les oasis lointaines d’Aranjuez et de Guadarrama. Les progrès même de la population madrilègne vinrent hâter cette disparition des cours d’eau. Madrid, qui n’avait, en 1560, date de son érection en capitale, que 2,500 maisons, en avait 7,000 en 1597, et ce développement rapide des constructions ne dut s’accomplir qu’aux dépens des forêts les plus voisines. La position centrale de Madrid, qui est de toutes les ailles d’Espagne la plus éloignée des deux mers, lui interdisait également tout essor commercial. Madrid pouvait encore moins viser à devenir un centre industriel, car ses produits fabriqués n’auraient franchi le vide qui le séparait des marchés extérieurs de consommation que pour rencontrer, au nord, au midi, à d’est, à l’ouest, la concurrence manufacturière de Ségovie, de Tolède, de Talavera, de Valence et d’Avila.

L’octroi est aussi pour beaucoup dans le triple interdit qui est venu peser sur l’activité madrilègne. Jusqu’en 1848, et sauf quelques exceptions temporaires, nous voyons le tarif municipal frapper de droits exagérés, non-seulement les denrées de première nécessité, dont la cherté paralyse extrà muros la production agricole et réagit intrà muros sur les salaires[1], mais encore les produits fabriqués, et, qui pis est, les matières premières de ces fabrications[2], c’est-à-dire le commerce dans son seul mobile, l’industrie à la source même de son développement. Ce n’est pas tout : l’état, sous forme de droits de portes

  1. Par le droit d’octroi, le prix du charbon, seul combustible dont on fasse généralement usage à Madrid, est presque doublé. Le vin est plus surtaxé encore. Le tarif municipal frappe jusqu’aux légumes et n’excepte même pas les grains et les farines.
  2. Par suite d’une mesure générale, l’octroi sur les objets fabriqués et les matières premières a été supprimé en 1848.