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de l’Espagne était impossible, et Florida Blanca ne démentit pas plus tard ce décourageant arrêt par la publication de la sienne, où les données les plus indispensables se trouvent souvent oubliées.

Le règne de Ferdinand VII vit cependant éclore un essai heureux nous voulons parler du Dictionnaire de M. Miñano, qui, comme statistique d’ensemble, serait un chef-d’œuvre, si une méthode parfaite, la clarté et la précision des développemens, une grande finesse d’observation, qui, avant de passer aux choses, avait appris à s’exercer sur les hommes, pouvaient suppléer à l’inexactitude des chiffres. Malheureusement la crise politique et financière, en rendant de plus en plus urgente la nécessité d’un relevé exact de la population et de la richesse du pays, avait surexcité dans la même proportion les causes de fraudes, fraudes dont l’administration elle-même, — et cet abus s’est reproduit à des époques beaucoup plus récentes, — se rendait souvent complice. Tel député influent, pour épargner à sa province, à son district, à sa commune, une aggravation possible dans la répartition de l’impôt ou du contingent militaire, sollicitait et obtenait un faux, comme ailleurs un chemin vicinal. Le travail de M. Miñano, basé qu’il était presque toujours sur des documens officiels, reflétait la plupart de ces inexactitudes, et il s’y en était même glissé bien d’autres. Un mauvais plaisant de l’époque s’avisa de dresser une carte sur les renseignemens géographiques transmis par des correspondans à M. Miñano et acceptés de confiance par le spirituel pamphlétaire, qui avait parfois la tête ailleurs : les latitudes et les longitudes se livraient, dit-on, sur cette carte à des excentricités peu pardonnables, à ce point que telle ville de l’intérieur s’y surprenait en pleine mer. M. Miñano n’en a pas moins légué un cadre excellent, et personne ne pouvait mieux le remplir que M. Madoz. À une pratique consommée de ces sortes d’études, à une fougue de travail que rien ne lasse et n’effraie, et qui est devenue proverbiale chez ses amis, M. Madoz joint une qualité non moins décisive : c’est celle de député opposant. On peut traiter à la diable une enquête officielle ; mais, depuis le haut fonctionnaire jaloux de faire acte d’impartialité jusqu’au simple particulier heureux de faire preuve d’indépendance, qui oserait refuser toute sa complaisance et tout son zèle à un député de l’opposition ? Comment le soupçonner surtout d’une arrière-pensée fiscale ? A telle enseigne que M. Madoz a pu rallier à son entreprise plus de deux mille collaborations, soit officielles, soit officieuses, qui, tour à tour se corroborant, se complétant, se corrigeant l’une par l’autre, donnent à chacun des faits ou des chiffres qu’il accepte un grand degré de probabilité.

Ce gigantesque travail, qui a déjà atteint quinze énormes volumes in-quarto, et qui en aura plus de seize, se ressent d’ailleurs des difficultés sans nombre contre lesquelles l’auteur a dû lutter. Tantôt de