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Le XIXe siècle n’est, à proprement parler, que la continuation du XVIIIe en toutes choses. Ainsi, pendant que la révolution continue de faire le tour du monde, construisant et démolissant d’éphémères gouvernemens, les créations véritables du XVIIIe siècle continuent à se développer toujours davantage. Il y a comme une nouvelle humanité qui menace la vieille humanité, et ici nous ne parlons pas de l’esprit révolutionnaire ; Dieu nous garde d’écrire une phrase aussi socialiste que peut le sembler celle-là ! Mais l’Amérique est une création du XVIIIe siècle ; il y a soixante et dix ans, les États-Unis étaient une simple réunion de colonies occupées de leur commerce, réclamant de l’Angleterre la permission de faire leurs affaires en toute liberté, et maintenant leur ambition est sans bornes, leur soif insatiable. Tour à tour, ils incorporent dans leur domination l’Orégon, le Mexique, la Californie ; ils pressent l’Angleterre au Canada, ils menacent, eux aussi, de prendre la route des Indes ; ils enserrent déjà l’ancien continent, et de plus en plus pèseront sur le nouveau. Et la Prusse, où était-elle il y a un peu plus d’un siècle ? C’était une simple province, un simple duché, et maintenant elle est à la tête de l’Allemagne, soit qu’elle la trouble par ses révolutions, soit qu’elle réprime les insurrections qui veulent l’imiter par ses armes et son gouvernement. Et la Russie, qui jadis vivait reléguée dans un lointain vague, comme une fabuleuse Thulé, et cela au plus beau temps de la civilisation française, voyez ce qui est arrivé : elle est, d’un côté, à Constantinople, menaçant à son tour ce peuple qui jadis effraya l’Europe, et, de l’autre côté, elle est à Vienne, elle met un pied sur cet empire qui pendant tant d’années a protégé l’Europe en réunissant sous un sceptre européen tant de populations qui ne sont européennes que par leur position géographique. Autour d’elle viennent se réunir toutes ces populations étranges, inconnues à l’ancienne Europe, ou dont elle ne s’inquiétait pas. Ah ! comme le dit un écrivain anglais, nous vivons dans un monde fertile ! Les choses vont vite dans ce monde : tout cela s’est fait en moins d’un siècle !

Ainsi donc, d’une part les ravages révolutionnaires, de l’autre, l’accroissement successif des empires fondés au XVIIIe siècle : voilà toute l’histoire de la première moitié de ce XIXe siècle, si orageux et si menaçant.

Maintenant quelle conclusion ? direz-vous. La conclusion, c’est que, si l’Europe veut être sauvée, il faut qu’elle abandonne au plus vite ses principes hasardés, ses frénésies humanitaires, et ce que j’appellerai volontiers ses ambitions cosmopolites ; il faut qu’elle renonce à dire en phrases sonores, comme elle l’a fait jusqu’ici, qu’elle travaille pour l’humanité, et qu’elle songe un peu plus à elle-même. Elle s’arrache le cœur chaque jour dans ses luttes intestines : qui sait s’il lui en restera