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d’une tête à une autre. Lui, il leur avait appris que l’autorité est une chose naturelle, fondée sur le devoir et l’obéissance : vous leur avez appris, en le renversant, que c’était une chose factice qui se donnait, qui s’imposait et s’enlevait au gré des intérêts et des ambitions. Le jour où Napoléon est tombé, l’autorité a reçu le coup le plus fatal qui lui ait jamais été porté. Les blessures que le peuple lui avait faites en 93, Napoléon les avait fermées, et vous, ô rois de l’Europe, vous les avez rouvertes.

La seconde réalité, après le gouvernement de Napoléon, c’est le gouvernement de Louis-Philippe, ou plutôt les bases sur lesquelles reposait le gouvernement de Louis-Philippe. Ces bases étaient les classes moyennes. Cet avènement subit des classes moyennes est peut-être le fait le plus important de ce siècle et le seul digne d’attention après Napoléon. Malheureusement ces classes ont été, à un moment donné, à elles seules, les bases, les colonnes, les appuis et les décorations du trône de juillet. Elles étaient assez nombreuses pour le fonder, elles n’étaient pas assez disciplinées pour le soutenir, et à l’heure du danger, elles n’ont pas été assez choisies, assez triées, dirons-nous, elles présentaient encore un aspect trop confus, trop mélangé, pour le défendre et le sauver. L’avènement des classes moyennes, quel que soit le sort qui leur est réservé, est une réalité, car ces classes sont la mesure de l’état social, le chronomètre de la civilisation, de l’élévation des intelligences et de l’accroissement des richesses ; elles sont la mesure de tout le mouvement de la nation, de son abaissement ou de son élévation ; rien n’indique mieux qu’elles, malheureusement nous l’avons vu, les fluctuations de l’opinion publique, les changemens des mœurs, la direction des esprits. Eh bien ! cette dernière réalité nous a échappé aussi ; il ne reste rien de l’empire que quelques institutions déjà minées et le prestige d’un grand nom, il ne reste de la bourgeoisie que des débris de fortune, des tentatives de renaissance la confiance dans le travail et l’amour de l’industrie.

La révolution française est donc, dans cette première partie du XIXe siècle, l’élément le plus important, le fait principal. Sa lutte avec les divers gouvernemens constitue jusqu’à présent toute l’histoire du XIXe siècle. Elle a emporté, disons-nous, non-seulement les moyens mécaniques abstraits qu’on lui avait opposés, mais encore les réalités les plus fortes, celles qui, par leur nature et leur origine, semblaient les plus propres à la contenir et à la rendre impuissante en se l’assimilant. Aujourd’hui, quels moyens propose-t-on, quels expédiens a-t-on inventés pour l’empêcher de continuer ses ravages ? Un gouvernement démocratique est-il un remède, et, nous dirons mieux, la démocratie porte-t-elle en elle-même les moyens d’apaiser cette tourmente qui se continue depuis soixante ans ? Sans doute, diront