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tout-à-fait important. Toutes ses phases, toutes ses périodes sont également importantes, car toutes répondent à une passion, à un désir de l’homme. Maintenant, vous étonnez-vous de ce caractère complexe de la révolution française ? La nature humaine est au fond de cette révolution, elle en fait comme le sol naturel, sol, hélas ! plein de crevasses, de volcans, de laves qui coulent toujours et ne refroidissent jamais. Il n’y a pas autre chose dans la révolution française, et c’est pourquoi, tant que vous n’aurez pas un idéal plus sublime que celui des intérêts matériels ou des équilibres et des pondérations constitutionnelles, il faut vous attendre à voir la révolution française, qui repose sur les fondemens de la nature humaine laissée à elle-même, désertée de Dieu, vide d’humilité, dominer en souveraine, car elle a encore une fois cet immense avantage, d’être une chose réelle, palpable, et de ne pas être une abstraction.

En vérité, plus je considère l’histoire de la révolution, et mieux je m’explique les convulsions de notre temps. Voici une réalité terrible, et pour la contenir, pour la limiter, pour la fixer, quels moyens emploie-t-on ? — Des abstractions. — Pour la vaincre, quel adversaire lui oppose-t-on ? — Des abstractions. — Cette lutte, ou, si l’on aime mieux, cette marche parallèle de la révolution, qui, comme une inondation, va s’étendant toujours, et des abstractions imaginées pour la contenir ou la diriger (systèmes représentatifs, constitutions, assemblées parlementaires), remplit tout le XIXe siècle, et en forme le fait le plus considérable, le plus continu, le plus obstiné, dirai-je. Arrêtons-nous un instant ; ce fait, malheureusement, se produit encore à l’heure où nous écrivons.

Système des deux chambres, pairie viagère, cens électoral, instruction primaire, responsabilité ministérielle, charte octroyée, constitutions, suffrage universel, voilà bien des remèdes ; ils ont tous été sans efficacité ; ils n’ont pas même été des palliatifs, ils n’ont pas été à la révolution même ce qu’un amendement est à un projet de loi. Il est remarquable aussi que tous les moyens employés comme digues, comme bornes, ont tous servi en fin de compte à la révolution, ont été pour elle des instrumens, et ont tourné à son profit. Pourquoi ? C’est qu’au lieu de s’emparer de la direction des esprits, d’ouvrir hardiment une autre inondation d’idées opposées, tous les gouvernemens, toutes les assemblées, tous les corps officiels et non officiels ont cherché dans des abstractions, des compromis et des arrangemens politiques, ce qu’il n’est pas en leur pouvoir de donner. Ce sont de purs moyens mécaniques auxquels il ne faut pas se fier, des rouages qui s’usent et que malheureusement on ne remplace qu’avec une extrême difficulté ; ce ne sont pas des moyens naturels portant en eux-mêmes leur fécondité. Ainsi, par exemple, l’autorité est détruite : comment