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de la fortune, demain dans la rue ; spéculations hasardeuses, méthodes de conduite paradoxales, expédiens ingénieux, luxe acheté à crédit, misères somptueuses, rien n’y manque, la ressemblance est complète.

Cinq gouvernemens usés en cinquante ans, une demi-douzaine de philosophies construites à priori pour devenir le code des esprits épuisés, trois ou quatre théories ; de gouvernement démolies, voilà le bilan politique et moral des productions du XIXe siècle. Jamais l’homme ne s’est drapé dans de plus somptueux haillons, et jamais sa misère native n’a mieux apparu à travers les déchirures de ses systèmes que dans ce temps-ci. Cependant les faits matériels se produisent toujours, s’entassent toujours comme des végétations stériles dans des champs laissés sans culture. Ces faits, inférieurs encore aux idées, aussi mauvaises que soient celles-ci, démentent à chaque instant les aspirations et les élans du siècle. Le siècle pense d’une manière et agit d’une autre. Avant tout, semble-t-il dire, il faut vivre, et il vit comme il peut.

Ainsi, pour peu qu’on prenne en bloc les événemens de ces cinquante dernières années, voici ce qu’on trouve, à quelque époque que l’on se place : promesses d’avenir magnifique, passé infime et grelottant, présent précaire. Bien des gens pensaient aussi, il y a deux ans, qu’avec un gouvernement républicain, les horizons seraient plus beaux encore et les lointains plus riches ; mais il n’en est rien, hélas ! et, au moment où nous sommes parvenus, ce caractère particulier du XIXe siècle semble vouloir disparaître pour être remplacé par l’anxiété, la crainte, la défiance de l’avenir, et enfin par tout ce qu’il y a de plus contraire à l’aspiration et aux ambitions qu’il avait manifestées jusqu’alors. Puisque nous voilà au moment décisif où les siècles transforment leurs tendances et changent les couleurs et les formes extérieures qui les rendaient reconnaissables, puisqu’au lieu d’une jeunesse guidée par une ambition audacieuse et ne doutant de rien, nous arrivons à une maturité pleine d’expériences, de remords, de soucis et d’anxiétés, considérons un moment ce XIXe siècle dans lequel nous sommes appelés à vivre et à combattre, résumons toutes ses expériences et tâchons de démêler quelques lueurs d’avenir.

Il est incontestable que le plus grand événement des temps modernes est la révolution française, qu’on la considère sous tel ou tel point de vue, peu importe. C’est de là que datent tous nos malheurs. Le temps approche où la révolution française sera jugée tout autrement qu’on ne l’a fait jusqu’à présent, et ne croyez pas que nous parlions avec passion, non : Dieu nous garde de méconnaître tout ce que contenaient d’utile et de salutaire les idées de 89 ; mais, encore une fois, la révolution ne fut bonne et salutaire que par l’intention. Oui, il fallait certaines réformes : cependant je ne puis pas croire que la révolution ait