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voulait s’emparer d’un point de la côte et l’occuper ; si l’on ne voulait ni l’un ni l’autre, c’était trop. Nous le répétons : il faut avant tout bien savoir ce que l’on veut et ne pas aller à l’aventure, sans objet bien déterminé, encombrer les vaisseaux d’un personnel inutile. Ce sont des bouches qu’il faut nourrir, et cette nécessité peut gêner et même paralyser les opérations.

Dans le système que l’on a en vue, point d’occupation, point de troupes de débarquement : on demande comme corps de bataille trois vaisseaux au moins, quatre au plus, deux bombardes et autant de grands vapeurs que de vaisseaux. À ces grands vapeurs destinés à la remorque, on joindrait d’autres vapeurs plus petits, dont le rôle serait de guerroyer tout le long de la côte depuis Tétouan jusqu’à Mogador, interceptant le commerce et les communications, et tenant, par leur présence et leur canon, tout le littoral dans un état perpétuel d’alarmes. Le quartier-général serait à Cadix. De là, les vaisseaux pourraient, en quinze heures, paraître devant Larrache, quinze heures après devant Rabat, et, en moins de trois jours, à compter du point de départ, devant Mogador. On ruinerait ces villes par le canon et par la bombe. Les bombardes tiennent ici une place essentielle. Dans l’état précaire de nos rapports avec le Maroc, il importe d’être toujours prêt à venger une insulte, à châtier un acte de violence ou d’agression. Les bombardes à voiles de 1830 et de 1838 n’existent plus. Faut-il en construire d’autres ? Oui sans doute, mais non plus à voiles ; celles-ci ont fait leur temps : il faut aujourd’hui des bombardes à vapeur. Deux suffiraient, car on comprend tout ce que la sûreté et la rapidité de leurs mouvemens ajouteraient à leur efficacité. Quelles sont les conditions nouvelles qui devraient présider à leur construction ? A première vue, et autant qu’il est permis d’exprimer une opinion à cet égard, on est disposé à croire que l’hélice ne conviendrait pas ici comme moteur. L’arbre a trop de portée ; l’ébranlement produit par l’explosion pourrait, sinon le fausser, au moins apporter quelque dérangement dans sa position. Le vapeur à roues, avec des bâtis en cornières, paraît mieux approprié. L’appareil ramassé au centre du navire permettrait d’établir facilement deux plates-formes, reposant sur carlingue au moyen de massifs en madriers superposés ; l’ébranlement agissant sur l’ensemble de l’appareil et du mécanisme dans le même sens et y produisant un ébranlement égal et uniforme, dont toutes les composantes seraient parallèles, ne paraît pas de nature à y porter un trouble dangereux. Au reste, l’idée des bombardes à vapeur devrait être soumise à l’examen et à l’étude des hommes spéciaux. C’est à eux qu’il appartient de décider de la valeur pratique de cette idée et de rechercher les conditions réelles de son application.

Tel est, dans ses données générales, le plan qui nous a paru répondre aux exigences de notre situation vis-à-vis du Maroc. Cette situation ne peut exister dans des conditions de bon voisinage. Ce qui vient de se passer à Tanger se renouvellera là ou ailleurs, et la France veut et doit protéger ses nouveaux sujets algériens comme elle veut et doit protéger sa frontière algérienne. Pour être efficace, cette protection doit être prompte et énergique. On connaît par expérience toutes les ressources, tous les expédiens dilatoires de la diplomatie marocaine. Ce n’est pas en traitant, c’est en réprimant que l’on en viendra à bout ; c’est par la crainte seulement que l’on pourra fonder et affermir la sécurité et la paix de l’avenir.