À cette occupation il fallait donc ajouter celle de la ville, qui permettait d’enfiler ou de prendre à revers tous les travaux que l’ennemi aurait pu exécuter sur la plage, et de les détruire au besoin par des sorties. Voilà pourquoi et comment on était conduit à occuper la ville ; mais, s’il avait suffi de cinq cents hommes pour l’île, il n’en fallait pas moins de deux mille à deux mille cinq cents pour cette seconde occupation. Que l’on compte les frais de la première, et l’on pourra, par comparaison, se rendre compte de ce qu’aurait coûté la seconde.
Et puis, se serait-on arrêté là ? n’aurait-il pas fallu s’étendre en dehors des murs de la ville, dominés à petite distance par des monticules, ou remonter jusqu’à sa source le cours de l’aqueduc qui lui donne de l’eau ? C’est ainsi qu’une occupation, même temporaire, tend toujours, par des entraînemens inévitables, à s’étendre et à s’agrandir. Peut-on jamais prévoir à coup sûr si les nécessités de la défense ne forceront pas à reculer les limites que l’on avait d’abord assignées à une occupation ? C’est sur une plus petite échelle l’histoire de l’Inde anglaise, et l’Algérie est là comme exemple, sinon comme enseignement.
Sans rechercher s’il convient à la France et à sa politique de poursuivre sur la côte d’Afrique des agrandissemens de territoire, on peut étudier les conséquences possibles d’un système d’occupation, appliqué comme système de répression. C’est ce que nous avons cherché à faire. Nous ne connaissons les autres points de la côte, Larrache et Rabat, que pour les avoir vus en passant et de loin. Assise sur un plateau élevé, Larrache a paru d’un accès difficile. Quant à Rabat, la rivière qui la sépare en deux permettrait, au moyen de vapeurs d’un faible tirant d’eau, de porter au cœur de la ville un corps de débarquement. C’est une étude à faire. Il importe dès aujourd’hui de posséder une reconnaissance exacte et complète de ces points aussi bien que de toute la côte, en vue d’une guerre offensive et dans la prévision d’une répression à exercer
Tels sont, tels ont paru être du moins, dans l’état actuel des intérêts et des rapports extérieurs de la France, les inconvéniens d’un système d’hostilités vis-à-vis du Maroc qui comporterait l’occupation de quelque point de la côte. C’est un système non-seulement coûteux, nous le croyons en même temps compromettant ; nous croyons qu’il est propre à engager le pays, malgré lui et contre ses intérêts ou les vues de sa politique, dans une voie d’agrandissemens territoriaux. C’est au gouvernement qu’il appartient de juger si le temps est venu de marcher dans cette voie ; mais il s’agit dès à présent de bien savoir ce que l’on veut, de bien définir le but que l’on se propose, et de s’en rendre exactement compte. Si l’on veut seulement exercer une répression énergique, efficace, sans se lancer dans les hasards d’une occupation, s’il est bien entendu que la France ne veut pas d’agrandissemens en Afrique, qu’elle n’a que faire des villes et du territoire du Maroc, à quoi bon mettre à bord des vaisseaux auxquels on aura confié le soin de cette répression des troupes et un matériel de débarquement ? L’expédition qui devait, il y a quelques semaines, partir de Toulon, portait huit cents hommes de troupes. C’était trop ou trop peu. En 1844, le corps expéditionnaire comptait douze cents hommes, et ces douze cents hommes n’auraient pas suffi pour occuper la ville de Mogador. C’était donc trop peu, si l’on