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égayer les guerres civiles par des fêtes. » La fête que Raoul destinait à ce but chevaleresque devait avoir lieu dans les jardins de Montceny. Une fête l’été, et dans un parc, devait se passer à l’italienne. Montceny, qui avait long-temps habité Rome et Venise, décida que les femmes auraient des loups et des dominos. La duchesse de Tessé avait annoncé qu’elle irait à ce bal, sur lequel Mme de Mau vrilliers comptait beaucoup pour désespérer Robert ; mais, chose étrange, elle déclara, le matin même du 15 juillet, que la Saint-Henri se passerait, d’elle, qu’elle avait une affreuse migraine et une profonde fatigue de toute chose, que l’idée de Montceny était absurde, qu’on ne venait pas à la campagne pour aller danser en domino, enfin qu’elle resterait à Saint-Nazaire par la loi souveraine de son bon plaisir.

Il y avait alors à Saint-Nazaire, depuis deux jours, la marquise de Tessé, la belle-soeur d’Élisabeth, grande femme mince et sèche, qu’on rencontrait partout, et qu’une très méchante personne appelait le squelette des fêtes égyptiennes. La duchesse pouvait donc persister dans sa résolution sans imposer sa retraite à Mme de Mauvrilliers, qui était sûre d’avoir une compagne pour aller au bal de Montceny. André était parti la veille pour aller passer quinze jours chez sa sœur la princesse de Froslay ; partant elle n’avait personne qui pût lui demander compte de son caprice. Lanier leva au ciel un regard résigné ; Penonceaux sourit d’un contraint et aigre sourire ; Léonie prit un air douloureux ; Robert attacha sur la duchesse un regard d’une reconnaissance passionnée.

Depuis quelques jours, le pauvre amoureux ne savait plus trop ce que faisait de lui sa destinée, comme il appelait Élisabeth. Le fait est que la duchesse était elle-même fort embarrassée du dénoûment à donner aux amours dans lesquelles le hasard et la fantaisie l’avaient jetée. Elle ne pouvait pas terminer cette aventure par un coup à la Circé, c’est-à-dire changer Vibraye, comme Penonceaux et comme Lanier, en animal domestique, et puis le laisser de côté. Vibraye était une nature au-dessus de certains maléfices. Il y avait dans son caractère et dans sa passion une redoutable puissance. Il réclamait d’Élisabeth l’engagement qu’elle avait pris au chevet de son lit dans la chambre de sa mère, en cette nuit dont le souvenir le brûlait. Comment lui dire qu’on avait obéi à un mouvement impétueux, mais fugitif, comme celui qui eût poussé un seigneur d’autrefois à dégainer l’épée et le poignard pour un bouquet de violettes ? Le duel fini, au diable le bouquet ! C’était, à peu de chose près pourtant, la vérité. Élisabeth avait sans cesse dans sa vie de ces élans qui seraient parfaits sous la hache du bourreau. Tout à coup elle faisait un acte d’amour, de repentir, de charité, avec ferveur, pour conquérir le ciel ; puis elle retombait au rang de Mme de Mauvrilliers. Tout ce qui était devenu pensées sacrées, souvenirs religieux, ineffaçables images, dans le