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— Depuis la fin de la guerre de Hongrie, l’Autriche est redevenue maîtresse de ses mouvemens. Comment use-t-elle de la liberté d’action que la paix lui a rendue ? Le concours prêté par la Russie à la maison de Habsbourg donnait lieu de craindre que la politique autrichienne ne cédât facilement à ses primitives inclinations, et ne revînt purement et simplement aux pratiques et aux doctrines de l’absolutisme. Il semblait même que ce fût là une des conditions de l’alliance conclue entre Vienne et Saint-Pétersbourg.

La dissolution du parlement de Kremsier, l’octroi de la constitution du 4 mars 1849, les retards que l’application de cette charte éprouvait depuis tantôt une année, enfin l’établissement du régime de l’état de siège en permanence et la suspension arbitraire des principales libertés publiques, tous ces actes pouvaient être regardés comme autant de présages de desseins peu favorables au système constitutionnel. Il est arrivé heureusement que l’Autriche a entrevu dans l’adoption de ce système un merveilleux moyen de force qu’elle cherchait inutilement depuis de longues années. On se rappelle quelle était à la fin du dernier siècle la politique de l’Autriche. Joseph II s’épuisait sans succès à relier entre eux dans une unité plus étroite les membres hétérogènes de l’empire. Ce souverain avait beau chercher dans les classes laborieuses un appui contre les résistances locales de l’aristocratie terrienne ; l’aristocratie des provinces représentait leur nationalité distincte. Partout le ressort de la nationalité avait une énergie telle que de l’entreprise de Joseph II il ne resta que les rancunes et la défiance des populations à l’égard du germanisme. Or, les insurrections dont l’Autriche a été depuis un an le théâtre lui ont justement fourni l’occasion de reprendre l’œuvre tentée par Joseph II. Elles ont sapé l’autorité de l’aristocratie, et de plus, par une rencontre qui n’était point à dédaigner, tandis que la Lombardie et les Magyars se soulevaient contre l’Autriche, les autres populations se sont soulevées pour le maintien de l’empire. Pendant que la malheureuse Lombardie succombait, la Hongrie, qui, avec sa féodalité puissante, formait une sorte d’état dans l’état, préparait sa ruine. Dès-lors les législations exceptionnelles et locales perdaient beaucoup de leur force, et l’Autriche pouvait sérieusement reprendre cette pensée d’unité, auparavant impraticable. Point d’unité possible sans une constitution radicalement nouvelle qui fît une part convenable à la liberté politique, en lui donnant pour base l’égalité civile. Point d’unité sans une diète centrale qui tînt réunis à Vienne les représentans des diverses provinces, et fit de la capitale de l’empire le vrai foyer des affaires et de la vie politique. De là le retour de l’Autriche vers le régime parlementaire, retour intéressé, mesuré, mais nécessaire, et, nous le croyons, irrévocable. Aussi bien, l’Autriche, quoique victorieuse et encouragée par la Russie, n’aurait pu, sans péril, retirer les promesses libérales qu’elle avait faites naguère aux populations, et, en organisant aujourd’hui ces libertés promises, elle a encore bien des écueils à éviter.

L’Autriche veut, avons-nous dit, s’assurer une unité plus forte, et elle le peut ; mais elle ne le peut que dans de certaines limites, et elle risquerait beaucoup à les dépasser. Oui, l’unité est possible aujourd’hui en Autriche, mais elle ne l’est qu’à la condition de laisser un large rôle au provincialisme, ou, pour mieux dire, à la nationalité. Si la diète de Vienne, si le pouvoir central devaient absorber