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s’aggrave tous les jours, et la révolution de 1848 est venue porter un dernier coup à notre marine marchande. Nos ports s’emplissent de navires qui ont dit adieu à la mer et qui sont destinés à pourrir dans les bassins. Pour arrêter cette décadence, nous dit M. Thiers, il n’y a plus qu’un moyen, un seul : c’est d’assurer l’ascendant du pavillon de la France dans l’Amérique du Sud. Là, nous trouvons, pour nos produits, un débouché immense. Nous trouvons une population qui a triplé en douze années, un commerce intérieur, comme celui du Brésil, qui a doublé en dix ans, ou comme celui de la Plata, qui, dans la même période de temps, s’est élevé, de quatre ou cinq millions, à quarante. Là, enfin, nous avons affaire à une civilisation naissante, à des populations agricoles, qui accueillent avec empressement les produits de notre industrie, et qui ne peuvent avoir aucun intérêt à les repousser par des mesures prohibitives. Aussi, malgré le peu d’élan que nous mettons d’ordinaire dans nos entreprises commerciales, le chiffre annuel de nos opérations dans l’Amérique du Sud est déjà monté à 150 millions. C’est le tiers de notre commerce dans les deux Amériques, mais avec cette différence que, sur quatre cents bâtimens de commerce dans l’Amérique du Nord, il y a cinquante bâtimens français et trois cent cinquante américains, tandis que, dans l’Amérique du Sud, pour trois cents bâtimens français, il y a cinquante bâtimens étrangers.

L’Amérique du Sud est donc, pour notre navigation marchande, un champ illimité. Là, nous sommes maîtres du présent et maîtres de l’avenir, à une condition toutefois ; c’est que notre gouvernement saura faire respecter le nom de la France. Tous les hommes sensés seront d’accord là-dessus avec M. Thiers. Oui, le gouvernement de la France doit montrer, dans l’Amérique du Sud, de la fermeté et de la vigueur. Malheureusement, et c’est ce qui nous faisait incliner, pour notre part, vers la solution que présentait le traité de l’amiral Le Prédour, malheureusement, disons-nous, il est plus facile de tracer les règles d’une politique de ce genre que de les appliquer. Les circonstances en ont rendu l’application plus difficile que jamais.- Si la France hésite à frapper dans la Plata, c’est parce qu’elle ne sait pas bien, après tout, quel est le lieu où elle doit faire sentir le poids de son épée. Et pourquoi l’ignore-t-elle ? La raison en est connue de tout le monde aujourd’hui. Les explications de M. Gros, plénipotentiaire du gouvernement provisoire dans la Plata en 1848, ont dissipé là-dessus tous les doutes. M. Gros, c’est lui qui le déclare, avait reçu l’ordre formel, et quoi qu’il arrivât, de lever le blocus de Buenos-Ayres. Il a dû exécuter cet ordre, et voici ce qui en est résulté : des milliers de Français ont abandonné Montevideo pour Buenos-Ayres, où ils ont transporté leur commerce et leur avoir, de sorte que, dans cette situation nouvelle qu’a créée le gouvernement provisoire, on ne savait plus, à vrai dire, où est l’intérêt français, s’il est à Buenos-Ayres ou à Montevideo.

Le rapport de M. Daru avait tout d’abord singulièrement embrouillé la question. L’honorable rapporteur avait engagé la discussion en acculant le cabinet à une situation presque désespérée. Le gouvernement, avait-il dit, veut prolonger le statu quo ; eh bien ! il faut en sortir : il faut dénoncer la convention du 12 juin, à la fois ruineuse et déplorable pour la France, cruelle et inhumaine pour la ville de Montevideo, dont elle ne fait que traîner l’agonie en